31/12/2008
Le Grand Maître virtuel
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L’informatique, tout le monde en parle. Certains en usent et en abusent. Aucun secteur d’activité humaine ne peut plus travailler sans cet outil du modernisme.
On sait qu’elle peut apporter le meilleur dans la vie de chacun, mais aussi la pire des surprises au coin d’un abandon de garde.
On a entendu parlé de piratage aux noms plus au moins sensibles mais qui passent dans le langage de tous les jours: virus, spams, phishing … et j’en passe que l’histoire inventera, plus tard.
Oui, il existe des outils “anti-” pour chaque type de pirate ou de piratage. Le commerce de la protection n’existe pas uniquement dans les pharmacies. Le 1er décembre, c’est une journée mondiale du SIDA et, donc, du condom. Alors, pourquoi pas de cela en plus ?
Actions, réactions. Une véritable « ligne Maginot informatique » s’est installée sur la majorité des ordinateurs du monde.
Vivre caché est devenu impossible sur la toile. Ouvrir son soi aux yeux de tous sans protection relèverait de la plus condamnable des légèretés.
Rester étranger à toutes interactions frauduleuses avec l’extérieure, serait la panacée. « Offline », comme disent les anglophones.
C’est se condamner à perdre le plus grand intérêt d’un ordinateur : être connecté avec le monde.
Le terme de « ligne Maginot » n’est pas innocente. Se mettre à l'abri? L’adversaire a toujours une longueur d’avance. Le piratage n’est pas seulement financier. Souvent, il s’agit de prestige de recherche à percer les secrets d’autrui. Ce qu’on en fera après n’est parfois pas l'intérêt principal.
Cet “essai”, car il ne s’agit que d’un roman, n’est pas là pour effrayer. C’est de la fiction pure. enfin presque car la fiction est parfois supplantée par les réalités. Un informaticien déterminera très vite les limites de l’impossible.
La Bourse va plâner au dessus de ce nid de vipères.
Les guerres sur Internet, comme en Bourse, auront des armes suivies par des contres armes. Des parades, on y mettra le prix, mais elles perdront tôt ou tard le poil de la bête en ingéniosités. Les utilisateurs, eux, attentistes et victimes, resteront les dindons de la farce et assumeront de bonne ou de mauvaise grâce ce grand jeu de la finance et de l’arnaque.
Dans l’originalité des attaques, c'est là que l'on trouve des gagnants. Casser l’incassable est la motivation principale. L’attrait de gains faciles ensuite.
Un thriller fait ouvrir les yeux et les consciences endormies par l’habitude. Les avantages d’Internet resteront supérieurs aux déconvenues.
Une nouvelle technologie est apparue pour révolutionner l’usage d’Internet: le Web 2.0. MySpace, Quicktime, Facebook en font partie et tentent de personnaliser encore plus les clients internautes. Sérialiser pour mieux appréhender. Cela entraîne cookies et mémorisation des informations. Le partage de séquences vidéo permet de surfer tout azimut avec la confiance innocente de l’internaute, endormie par l’envie d’être mieux servi et mieux cerné. Boîte de Pandorre dans le domaine de l’arnaque. Les sociétés n’intéressent plus vraiment. Les particuliers, par contre, à cause de leur isolement sont des proies favorites. Les PC zombies s’ignorent et sont parfois contrôlé par des organisations mafieuses à l’insu de l’utilisateur perdu dans son espoir de trouver le meilleur du savoir d’Internet. Seul le coût élevé de la pollution des SMS par les spams les libèrent encore.
Une véritable guerre virtuelle, voilà ce que je concocte sans prétention. Le cinéma s’est mis dans cet imaginaire aussi. Le« Die Hard 4.0 », “Retour en enfer”, est un exemple. Très hollywoodien de voir les choses dans ce cas. Pas de femme dans mon histoire. Seulement, un homme comme tout le monde avec une double vie à la recherche de son destin. Pas de passion, pas de sentiments, de la technique pure et dure. Beaucoup d’intelligence au service d’un brin de paranoïa par un gourou informaticien.
Le virtuel ne se joue jamais au grand jour. On y reste seul. Vive les pseudos et les passe-murailles dans ce monde clos où tous les coups sont permis. La Toile, même si ses mailles seront de plus en plus fines, reste perméable. Sans la liberté d’expression d’Internet, ce serait sa mort naturelle.
L’ennemi en fait partie de la peur qu'elle crée.
Remerciements:
* À mon épouse qui a dû endurer des moments d’absence dans mes rêveries.
* À certains amis qui ont commencé à lire et m’ont fait retourner à mes écritures sans ménagement.
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« Dès lors qu’on a une vie intérieure, on mène déjà une double vie. »Pierre Assouline
Ce soir-là, il rentra chez lui, à peine plus tard que d’habitude. Ce moment correspondait pour la plupart des gens au moment où ceux-ci avaient déjà soupé dans leur petit meublé.
La journée avait été dure. Pas mal de problèmes avaient émaillé le jour de ce grand blond aux yeux bleus. Costume classique sans excès. La cravate décrochée. Le bouton de col apparent. Une barbe naissante. Démarche non-chalante. Du “Brad Pitt” sur le retour et surtout pas de distraction à la manière du Grand blond avec une chaussure noire. Pas idiot pour se faire remarquer de la sorte.
Une jolie fille aurait pu être attirée du premier coup d’œil s’il n’y avait pas la surprise de son visage dur en lame de couteau. Le charme, il en avait à l’extérieur mais sans ostentation voulue. A l’intérieur, aussi, mais il fallait passer plus de temps avec lui pour le découvrir. Et, le temps, c’est ce qu’il n’accordait qu’en extrême urgence et à très peu de monde. Un sourire, oui, une parole en filigrane, à la rigueur, plus, s’abstenir. Le nombre de ses amis, c’est sûr, ne nécessitait aucun doigts que comptait une main. Les amies, c’était simplement “persona incognita”. Asocial, l’amitié, connaît pas. Les femmes ne l’avaient jamais intéressé. Si elles l’ignoraient, il les remerciait sans le leur dire. Lui serait resté de marbre et sans état d’âme.
Pourtant, sous le chapeau résidait un réseau de neurones de première force. Il le savait et il en profitait pour son propre usage en exclusivité. Un psychiatre, sans beaucoup de recherche approfondie, aurait même pu déceler, chez lui, le grain de « psychopathe » en puissance.
Vic était fils unique. Élève très doué, très effacé, construit par lui-même.
Ni sa mère, ni son père n’avaient contribué, en effet, à son élévation de l’esprit. Le temps ou les capacités nécessaires leurs avait manqué. Vic n’avait d’ailleurs recherché aucune aide auprès d’eux. Il ne leur en voulait pas. Jeune, il se réfugiait souvent dans sa chambre. A l’abri des regards et des préoccupations des grands, pour construire son ego, il se berçait de lectures qu’il avait récupéré dans la bibliothèque de son père, ingénieur en électronique et toujours en déplacement à l’étranger. Le suspense de ses intrusions inédites est ce qu’il avait trouvé de mieux pour répondre à ce manque de communications. Sa mère, par contre, n’avait tout simplement pas eu le niveau suffisant intellectuellement pour lui prodiguer plus que des soins typiquement maternels et non scolaires.
A l’école, le potentiel de Vic avait très vite été décelé. Alors que ses condisciples s’attardaient encore à la résolution de problèmes typiquement arithmétiques ou liés aux jeux, lui, prenait ses distances vis-à-vis des programmes dans lesquels il se sentait à l’étroit. Cette avance construite avec opiniâtreté lui permettait d’utiliser l’algèbre à sa mode sans en connaître l’existence. L’abstraction venait déjà au secours du concret. Son instituteur, face à son mutisme, avait même soupçonné, un temps, un certain autisme. Le dé-synchronisme avec le niveau d’étude fut jugé seul responsable. Avancer de classe, le sauva.
Étudiant, il trouva le secteur de l’informatique à ses débuts. Pas encore de sections réservées dans cette discipline. Une licence et un doctorat en intelligence artificielle et robotique lui permirent de conclure des études avec les félicitations du jury. Bardé de ce genre de diplôme, il pouvait voir venir l’avenir avec sérénité. Cela devait être le cas mais, pas nécessairement comme aurait pu l’espérer le bon père de famille. Mais parler de cela, c’est déjà entrer dans notre histoire.
Son job, il le jugeait intéressant, passionnant même. Utiliser, de manière aussi ajustée, son expertise en la matière, le satisfaisait et effaçait largement une progression assez peu cernée à sa juste valeur. Il n’en avait cure. Le travail, il le plaçait au niveau du hobby.
La recherche et le développement constituaient les principales préoccupations de son service. Grâce à leur expertise, aider les autres services dans leurs problèmes informatiques. Un complément très occasionnel, cependant. Les gens qui constituaient l’équipe se retrouvaient au fond d’un couloir et personne n’y avait accès autrement qu’avec une carte de sécurité très spécifique avec quelques éléments supplémentaires, incrustées dans les circuits de la puce électronique pour assurer l’accès aux seuls détenteurs.
Les budgets alloués à l’équipe relevaient d’un véritable secret d’état. A l’extérieur du bureau, on savait que les gens de l’intérieur s’occupaient d’intelligence artificielle sans aucune autre précision. Notre homme était, malgré tout, reconnu comme une sommité dans laquelle tous les autres membres du groupe pouvaient puiser les idées. Les solutions aux problèmes, il pouvait s’en vanter en avoir trouvées et des meilleurs. Pragmatique, les solutions qualifiées d’alambiquées n’avaient jamais eu sa préférence.
Dans cet état d’esprit, les heures supplémentaires étaient très nombreuses. Il n’était pas rare que le portier oublia que ce couloir menait à une porte bien opaque qui cachait des occupants retardataires.
La journée avait bien commencé. Le soleil de juillet avait dardé ses rayons avec beaucoup de générosité. De nombreux problèmes informatiques avaient eu pourtant le malheur d’énerver cette belle journée. Ce type de travail était toujours en porte à faux. Sans agenda précis, réservé aux changements, les extra n’avaient rien d’exceptionnel.
La fatigue avait été accentuée par la chaleur du milieu de journée. Elle régnait dans les bureaux et le conditionnement d’air ne parvenait plus d’en atténuer la moiteur. Les canicules devenaient par trop courantes. Notre homme n’aimait pas cela. Juillet, c’était aussi le mois pendant lequel les absences de personnel se ressentaient le plus. Beaucoup de collègues se doraient ailleurs sous le soleil. Lui, par contre, n’était pas intéressé aux vacances et restait plus souvent comme le dernier des Mohicans, caché à la vue de tous. Le travail et les problèmes subsistaient bel et bien.
Ce soir-là, en regagnant ses pénates, le soleil avait disparu derrière l’horizon depuis de longues minutes. La lumière perdait progressivement du champ par rapport aux luminaires des rues. La moiteur persistante ne se prêtait pas à une volonté de presser le pas.
Arrivé devant son immeuble, la concierge s’affairait encore avec son balai dans les mains. L’apercevant, elle s’arrêta dans son activité. Elle n’était aucunement étonnée de son retard.
Elle l’aimait bien, dans le fond, ce beau ténébreux qui disait tout en condensé.
Relevant la tête avec le sourire, elle ne manqua pas de se lancer dans une parole traditionnelle pour entamer une conversation. Elle savait que celle-ci resterait de courte durée.
- Belle journée, n’est-ce pas, M’sieur. Vous avez dû râler d’avoir à rester dans l’ombre de vot’bureau?, lui dit-elle.
- Vous avez raison, mais c’est pour la bonne cause, non? , répondit-il avec un sourire engageant, tout en disparaissant.
Encore une fois, vraiment du classicisme à l’état pur.
La concierge avait bien fait une allusion aux voisines de l’étrangeté de cet homme, si affable et si discret, à la fois.
Il s’empressa de monter les marches qui le menaient à son appartement. C’était sa seule activité sportive. L’ascenseur, comme toujours, il le reléguait à des gens moins fortunés du côté santé. Les rencontres, il n’aimait d’ailleurs pas trop.
A l’entrée de son appartement, de son antre, une porte blindée surprenante à plus d’un titre apportait une couche au mystère. L’habitude et, surtout, la révélation qu’il lui avait faite de travailler dans un secteur assez secret avaient suffit à apaiser la curiosité.
Avec la fortune, on approchait progressivement de ce qui l’excitait le plus dans la vie en dehors de la volonté de rester au top de la forme.
Sa véritable fortune, elle existait bel et bien, même si rien ne permettait d’en imaginer l’existence et surtout, d’en soupçonner la construction. Des frais limités aux minimum en dehors de ses passions contribuaient à ce niveau élevé.
Sa profession le gratifiait déjà très largement au-dessus du niveau de l’argent poche par rapport au commun des mortels. Des rentrées financières, encore plus substantielles, venaient encore d’une autre source moins évidentes.
Pendant la journée, les voisins et les collègues rencontraient Mister Jeckill. Une fois rentré chez lui, il se transformait en un Mister Hide plus vrai que nature.
Après quelques rangées de marches, il se retrouva donc devant la porte de son appartement, costaude pour refuser l’accès à tout éléphant. De multiples trous de serrures auraient pu faire penser que les bijoux de la Reine avaient élu domicile chez lui. Un trousseau de clé volumineux et la cachette surprise s’ouvrit, enfin, avec un bruit sourd.
Au début, rien d’anormal. Rien n’aurait pu prévoir de ce que l’on découvrirait au fond de son relativement modeste appartement. Derrière une porte tout aussi protégée dans l’arrière salle, une véritable caverne d’Ali Baba pleine d’électronique de toutes sortes se cachait.
Il y entra. Rien n’avait changé depuis la veille au soir. Il savait que cela devait être le cas, mais, soupçonneux, il aimait toujours mieux s’en assurer. Au centre, cinq PC, dernier cri, trônaient en maître sur le large bureau. Même le spécialiste aurait eu du mal à imaginer l’existence d’une telle technologie.
Des ordinateurs, des serveurs, pour la plupart, continuaient imperturbablement à clignoter tel un arbre de Noël. Le modem dernier cri, lui aussi, scintillait de tous ses feux et à toute vitesse, jour et nuit. Les écrans, au repos, derrière leur « screensaver », ne reflétaient pas l’activité interne de l’ensemble.
Ils allaient bientôt sortir de leur torpeur et entrer en fonctions dans le virtuel dès la première sollicitation.
Dans un esprit guerrier, il se mit au devant de ses multiples claviers et commença à pianoter avec vigueur pour entrer les sésames de toute cette armada technologique. Vic avait regagné son univers virtuel pour le meilleur et pour le pire.
Il allait, une nouvelle fois, se muer en véritable pirate des temps modernes. Si la guerre n’était pas son truc, la guérilla l’était bel et bien.
Le phishing, l’hameçonnage, comme diraient les Français, cette capture des informations des internautes, était son domaine. Les informations captées sur ses victimes passaient au travers de son cerveau démoniaque en utilisant les failles du système qui avaient accaparé son attention. Chaque nouvelle facétie lui apportait, manifestement, plaisir et satisfaction.
Délester les avoirs bien réels de certains avait quelque chose de très jouissif. Qui serait la victime, il ne cherchait pas vraiment à le savoir. Il allait prendre son pied. Peu importait l’importance des gains à engranger par ce piratage. Du jeu, lucratif et puis basta.
Les internautes étaient de grands naïfs. Par eux, il voulait arrondir ses fins de mois. C’était clair.
Les amateurs naturels du grand dieu dollar et les caractères narcissiques reflétés par les nouveaux réseaux sociaux apparus sur Internet étaient seulement ses préférés et les plus facilement repérables. De nouveaux outils tel que ”EgoSpace” avaient apporté le meilleur Cheval de Troie. Celui-ci avait intéressé les plus attirés par la notoriété à se retrouver avec tous ses attributs. La nouveauté, aussi, mais aux dépends de la sécurité. Trouver les noms et les mots de passe, d’abord. Les envoyer dans une base de données de plus en plus complète, ensuite.
Le soin apporté pour ne pas se faire repérer avait été porté au sommet de la technicité et de l’ingéniosité. Savoir jusqu’où aller trop loin était sa préoccupation. Quitter, pour un temps, une partie de son activité litigieuse, il pouvait l’assumer. Il avait le temps. La chronologie des événements, il la fixait lui-même. Rien n’aurait pu le pousser à transgresser ses propres règles rigoureuses.
Un sourire sarcastique s’ébauchait déjà sur ses lèvres. En général, le club des sondés s’agrandissait naturellement. Les nouvelles « recrues » se constituaient d’elles-mêmes.
Comme infrastructure et investissement de départ, il y avait ses ordinateurs et du matériel sophistiqué de toutes sortes.
Une machine qui n’était plus au sommet de ses ambitions, il la remplaçait par le nouveau bijou clinquant neuf avec lequel le vendeur le faisait habituellement saliver. L’investissement en matériel, il fallait, en effet, le réactualiser fréquemment. L’investissement humain, personnel, en recherche et en développement, il en était fan et ne comptait donc pas.
Les hyperliens complétaient son voyage dans Internet dont il connaissait le départ mais jamais l’arrivée.
Sa petite entreprise prit très vite forme avec beaucoup de succès successifs. A peine quelques mois suffirent pour faire ses premiers pas dans le piratage, avec résultats très performants. Les victimes non-consentantes, inconscientes des dangers de la navigation au travers de la toile, s’appuyaient souvent sur un manque de contrôle efficace baignant dans trop de confiance. Une publicité pour les préservatifs lui faisait toujours sourire de bon cœur : « Pour vivre heureux, vivons protégé… ».
En fin de semaine, il gardait ses comptes en parfaite balance et cela rapportait manifestement. Pas de morts sur ce champ de bataille, seulement un peu de dégâts dans le portefeuille des citoyens Lambda. Le jeu en valait la chandelle par le nombre de ses proies potentielles jamais par l’épaisseur du portefeuille de ses commanditaires involontaires.
Dans le côté obscur de son individu, il se nommait lui-même le «Grand Maître virtuel».
Ce surnom, il se l’était approprié lors d’un de ses voyages à Malte. Là, il avait été émerveillé par la magnificence des règnes successifs des «Grands Maîtres de l’Ordre» dans l’histoire de l’île. Il y avait, d’ailleurs, trouvé une de ses planques en retraite.
Une place dans l’Ordre des Templiers le faisait rêver. Par la suite, il remonta le temps à la recherche de ses ancêtres fictifs. Rhodes fut également une des étapes de collégien. Le spectacle de sons et lumières auquel il eut alors l’occasion d’assister dans la jeunesse, restait dans sa mémoire et le remplissait d’orgueil et de passion destructrice.
Ce pseudo de «Grand Maître» de la virtualité, il ne l’utilisait évidemment pas dans ses contacts sur la toile virtuelle.
Il s’affichait avec des pseudo en cascades et échelons. Le vrai nom, écrit sur sa carte d’identité, n’existait que pour les collègues, eux, bien réels mais ceux-ci ignoraient tout de son activité nocturne.
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(02) Une routine en couverture
« Tous les gens sont mégalomanes. Ceux qui le montrent, on les traite de malades ; ceux qui le cachent, de modestes. Comme tout employé modèle et, en fait, il l’était vraiment dans les attitudes et dans les gestes, Victor s’éclipsa de chez lui. », Fernand Vanderem
Ce lundi, la journée commençait dans l’excitation.
Comme dans toutes grandes villes, les files de début de semaine s’étiraient toujours un peu plus que le reste de la semaine. Paris en avait fait sa spécialité. La parenthèse des deux jours de week-end, propices à l’oubli du le métro-boulot-dodo habituel, était loin.
La radio l’avait annoncé, embouteillages et accidents, un peu partout. La saison d’été n’arrangeait plus rien comme on aurait pu s’y attendre. Était-ce la chaleur déjà naissante à l’origine de cette excitation maladive? Personne n’aurait pu dire. La métamorphose s’opérait, une fois, à bord de sa belle voiture. Les informations de la radio complétaient le tableau: catastrophes, attentats.
Tous cela n’effleurait que très vaguement l’esprit de Vic.
Vic n’avait pas trop à se plaindre de son trajet pour rejoindre le bureau. A peine trois kilomètres à vol d’oiseau. Il prenait néanmoins toujours sa petite voiture pour y aller.
Le vélo qui prônait, empalé, sur le mûr de son garage, aurait pu le conduire plus aisément et, certainement, plus rapidement. La taille de son PC portable, qui n’avait de portable que le nom, en avait décidé autrement. Son transport, testé sur les épaules ou en bandoulière ne lui avait pas donner satisfaction du côté portabilité. Il y avait renoncé et repris sa petite auto.
L’économie d’énergie à la mode, ce n’était pas son truc. Le sport, aussi, devait faire sans lui. Son vélo avait, depuis longtemps, pris un coup de vieux par manque d’entretien et devait certainement nécessiter un peu d’huile de-ci delà.
La chaleur du lit avait bien tenté de le retenir, fatigué par une nuit de sommeil trop courte. Ses heures de sommeil n’étaient pas très nombreuses en général mais assez pesantes, heureusement, pour le remettre d’aplomb dans un minimum de temps.
Accroc de ses “bécanes”, son addiction, pour elles, aurait pu être facilement comparée aux alcooliques ou aux drogués anonymes. L’informatique était toute sa vie. Pour ses 8 ans, son père, de retour d’un voyage pour une courte semaine, lui avait offert un ordinateur qui prenait dans ce temps-là tout l’espace de son petit bureau d’écolier. Ce cadeau avait changé sa vie. Au départ, le jeu l’avait passionné. Très vite, pourtant, il s’était tourné vers une utilisation beaucoup moins ludique, vers des activités moins futiles et surtout plus rentables. Tout y passait, vacances et argent. Il considérait cette passion comme un investissement.
Son besoin de compter en binaire se reflétait dans sa manière de penser très cartésienne, très logique. Vic était un fou génial, un « gourou », dirait la plupart de ses collègues. Le génie et la folie étaient souvent des comparses d’une même cause.
Le temps, c’était de l’argent et cela il n’était pas prêt de l’oublier. Pour se retrouver au top, le matin, pas besoin de la tasse de café comme l’aurait voulu la pub sur le café, entendue à intervalles réguliers à la radio. Parfois, il aurait aimé allonger le temps dans son appartement. La couverture que constituait son travail dans l’entreprise, avait ses lois. Il n’était pas prêt à les transgresser.
Au compteur des heures de sa Seiko, il venait de sonner 8:00. Le soleil, déjà haut dans le ciel, il s’en moquait éperdument. Il n’avait pas jeté le moindre coup d’oeil dans sa direction.
La petitesse de sa voiture expliquait la facilité apparente à jouer l’anguille dans le trafic. Quelques minutes de route avaient suffit pour rejoindre son entreprise.
A 8h08, le portier de sa Société qui l’avait reconnu de loin, lui fit un signe de la main après avoir levé la barrière.
Par la vitre ouverte, Vic avait bien entendu le portier qui avait tenté de lui dire quelques mots amicaux. Il ne les avait pas compris et n’en avait cure. Il se contenta de répondre par un sourire engageant. Sa place de parking, naturellement vide avait un écriteau, placardé au mur, qui annonçait en lettres majuscules : «Victor Vanderbist Département I.A.».
Il laissa, très vite, derrière lui, sa petite voiture qui n’avait manifestement pas assez grandi pour remplir la place de parking qui lui était réservée.
Gravissant, quatre à quatre les marches de l’escalier, il avait atteint le 2ème étage et son bureau, sans rencontrer quelqu’un sur son passage. Il s’en félicitait d’ailleurs à chaque fois. C’est déjà ça de pris sur l’ennemi du hasard des rencontres toujours risquées.
Comme presque toujours, il était arrivé premier dans la place. Ses collègues n’avaient pas la même chance d’habiter à une telle proximité. Il se mit à consulter son courrier électronique et à écouter sa boîte vocale. Contrôler les programmes qui avaient tourné pendant le week-end, ensuite.
Dans l’équipe de la Société RobCy (Robots Company), située près de la Défense à Paris, il occupait la place qu’il avait postulée et ses collègues faisaient un peu paravent contre les atteintes de l’extérieur.
Il s’attirait les bonnes grâces de son entourage, il les endormait. Cela pourrait toujours servir par la suite. Ses collègues ne devaient jamais connaître la vérité dans sa totale complexité.
Psychologue, il savait s’attirer du monde à sa table de discussions. Celles-ci commençaient par des événements anodins comme il est naturel pour chauffer la conversation. Le lundi était particulier. Chacun avait à raconter ce qu’il avait fait au cours du week-end. Épisode délicat qu’il devait à tout prix faire dévier. Sujet trop dangereux qui aurait pu révéler son côté obscur. S’échapper surtout du détail. Un lapsus ou une erreur dans son emploi du temps par trop illicite pourrait se transformer en catastrophe.
Son curriculum vitae élogieux, son contrat d’emploi qui stipulait « Ingénieur en informatique » avec diplôme supérieur et qualification en intelligence artificielle devaient suffire. Il était payé pour cela et il s’employait à correspondre à ce profil bien loin du courrier du cœur et de la confidence.
Sa vie d’avant, à part ce qui était indispensable, personne ne la connaissait. Pas d’effet de scoop, motus et bouche cousue.
Au bureau, il y avait, Bob, son préféré, son opposé en tout, aussi. Petit, trapu, jovial à ne savoir qu’en faire.
Entre eux deux, il y avait une réelle complicité. Ils travaillaient d’ailleurs très souvent sur les mêmes projets. Si les opposés s’assemblent, ils en étaient une preuve vivante.
Le dernier en date résidait dans le domaine de l’intelligence artificielle adaptée à la médecine et à l’armée. Un projet ambitieux et innovateur qui par l’intermédiaire d’un robot miniature pourrait permettre une auto-consultation globale du bon niveau de santé d’un individu. Capteurs, palpeurs de toutes sortes en fibres optiques avant impulsions en retour sous forme de micro capsules imprégnées dans les tissus des vêtements. Information transmise ensuite par satellite à l’organisme habilité pour réagir avec efficacité dans les plus brefs délais. Un budget important avait été alloué pour atteindre l’objectif de la miniaturisation maximale. En retour, ces diagnostiques ambulatoires et sans l’aide d’aucun médecin en première instance, pouvaient aider à distance pour remédier à la « panne » corporelle. On pouvait considérer cela comme un système de GPS destiné à la santé de l’individu. Le cerveau fertile de quelqu’un avait imaginé un système qui s’auto-corrigerait jusqu’à éliminer complètement l’entremise du médecin.
Un micro-ordinateur mi-analogique, mi-numérique de conception originale, avait été conçu dans cette tâche.
Le projet progressait mais on était encore loin de mettre la première phase en pratique. La miniaturisation, elle, était encore dans les limbes, au stade d’ébauche sur les plans.
Des tests avec deux singes avaient pourtant été entrepris et étaient encourageants. Des palpeurs, appliqués sur le corps de ces singes de laboratoires, recherchaient ce qu’il pouvait ressentir après certaines impulsions en gardant le plus de confort pour l’animal.
Le troisième larron de l’équipe, Gérard, était un gars assez moyen techniquement mais doué d’une diplomatie hors pair. Vic ne manquait pas de le caractériser souvent comme « faux jeton ». Grâce à lui, pourtant, le projet prenait de l’extension. Véritable fonctionnel de l’équipe, il préparait les expériences dans leur conception. Le Public Relation des projets, c’était lui. Vendeur, dont le rôle était de convaincre les autorités responsables du bien fondé de la vision de l’équipe à la base. L’armée était très intéressée. Les budgets devaient, donc, trouver les ressorts en retour avec la même ampleur des investissements consentis.
Le dernier, c’était le chef, Bill. Lui, on ne le voyait presque jamais. Trop occupé à voyager dans les filiales ou à la Corp. En voyage ou à son domicile, à 70 kilomètres du bureau, il se reliait à l’équipe par des connections haut débit. Il ne se présentait qu’à des moments stratégiques et personne ne s’en plaignait. Sa confiance envers l’équipe était entière. Justifiée et réciproque.
Dans la pièce, la partie réservée aux humains était déficitaire par rapport à celle qu’occupait machines: câbles, modem clignotant en arbres de Noël. Vic avait eu la chance d’avoir une grande baie vitrée vers l’extérieur et la ville. La vue, par ce beau temps, en valait la peine. Il avait perdu pourtant l’habitude de jeter le coup d’œil vers cet horizon.
De retour, le regard sur la lucarne de son écran d’ordinateur, Vic tombait sur une série de mails bien serrés qui se bousculaient pour garder la primeur de l’information. Des rapports et minutes de meeting, très souvent. Des idées pour améliorer le « machin » s’y trouvait aussi.
Ce matin là, pourtant, un courrier attira son attention. Il émanait du nouveau vice président et Vic était copié. Il se mit à lire patiemment mais tout de même avec anxiété.
« Messieurs,
Par la présente, le Comité du Direction a décidé de réduire les budgets alloués au projet surnommé « AutoScan ». De plus, le délai de livraison a également été écourté de six mois. Les objectifs du projet sans être fondamentalement diminués dans les principes seront néanmoins amputés dans une première phase et limités au niveau de la pré miniaturisation. »
Vic s’arrêta dans sa lecture et la rage au cœur de ne pouvoir aboutir à l’efficacité ultime prévue au départ. Il était clair que l’aspect le plus rigoureusement financier avait pris le pas sur l’efficacité du projet. Les militaires avaient-ils aussi raboté la décision? Le civil médical, le plus sceptique, avait déjà moins soutenu le projet. Le projet était-il repoussé aux calendes grecques?
Il se surprit à s’entendre murmurer entre les dents : « Ces financiers seront toujours les gâches métiers incapables de comprendre la finalité des choses ».
Du côté de la porte d’entrée blindée, le déclic d’ouverture se fit entendre. Bob et Gérard apparurent ensemble. Ils discutaient avec fébrilité et leur conversation était entrecoupée de rires qui ne méritaient pas le qualificatif de « silencieux ».
Visiblement, ils avaient encore une fois enduré des bouchons sur la route. Des gestes amples émaillaient les descriptions des parcours pleins de multiples embûches pour y apporter le réalisme.
Vic n’avait pas encore retrouvé l’apaisement. Curieux, ils se ruèrent vers lui avec précipitation et fébrilité.
Mis au courant de la situation, Bob, sanguin, entra dans une colère noire. Gérard, par contre, avait manifestement été mis au parfum précédemment et sa colère n’était déjà plus, en apparence, qu’un lointain souvenir.
Le rituel passait avant l’extraordinaire et l’équipe se rassembla en un véritable pèlerinage quotidien vers l’endroit des conciliations, la cafétéria.
Le café chaud devait avoir lentement raison de la colère de Bob.
- Crois-tu qu’on arrivera dans les temps avec la première phase du projet? , demanda-t-il, peu rassuré, à Vic.
- Je sais que d’après vous deux, un planning a toujours été fixé pour se rendre compte des retards , intervint Gérard, cynique.
Paroles qui, naturellement, remirent Bob à nouveau sur les rails de la colère.
Vic effaça son trouble par une impassibilité feinte.
Les échos des haussements de voix avaient pourtant excité les deux singes qui se trouvaient dans le local d’à côté. Il fallait très vite calmer les nerfs des animaux et leur apporter quelques calmants sous forme de friandises. Les expériences de la journée auraient pu être déforcées par une contagion de mauvais aloi de l’humeur des humains.
Vic s’en chargea naturellement. Les singes sautaient, se renversaient sur eux-mêmes avec des rictus qui n’avaient qu’un très loin rappel avec celui de l’homme.
Quelques bananes et friandises encore vertes calmèrent heureusement très vite cette fébrilité transmise par Bob.
La fébrilité des uns et la colère de l’autre étaient déjà retombés quand il quitta le local.
Bob et Gérard étudiaient déjà, sur la table de travail commune, avec les plans qui reliaient les fils du projet, court-circuité, réduit très probablement par les autorités de la finance.
Une anecdote maudite de plus pour Vic, un éclat pour Bob, une confirmation sans effusion pour Gérard. Chacun avait sa manière de réagir à l’événement à sa mesure.
La journée se poursuivit sans beaucoup d’entrain ni d’événements perturbateurs nouveaux.
Les tests furent entrepris pour occuper les esprits comme l’opium des esprits. L’intelligence naturelle des humains, il fallait l’introduire dans celle qu’on appelait « artificielle ». Et cela était leur besoin intime.
A la fin de la journée, plus aucun reliquat de l’incident du matin ne fut remis en chantier.
Vic s’en retourna avec le sourire feignant ne plus s’en souvenir.
Il s’apprêtait à enlever le masque qu’il avait placé pendant cet espace de temps diurne pour l’échanger contre une présence moins avouable de son activité nocturne.
Le Grand Maître virtuel allait reprendre du service du côté obscur de son individu.
De ce côté-là, aussi, le lundi était un jour particulier.
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« Le timide a peur avant le danger, le lâche au milieu du danger, le courageux après le danger. » Jean-Paul Richter
Quand Vic rentra chez lui, il se mit à rêvasser dans la voiture. Ce n’était pas franchement du rêve mais plutôt une certaine langueur râleuse.
L’évènement du matin lui revenait en mémoire. Il ressentait à nouveau ce coup de poing dans l’estomac que la haute direction leur avait infligé par l’intermédiaire de ce satané mail.
A chaque fois, qu’il y pensait, qu’il y penserait, une crampe mentale monopoliserait son cerveau plus orienté vers l’expertise dans la construction du futur que vers le calcul de ce que coûte sa construction. Une vengeance instinctive naissait indigné par le non respect des engagements vis-à-vis de tous les autres interlocuteurs.
Les budgets rabotés impliquaient, peut-être, des risques de reconsidération du futur du service, lui même. Et, cela lui laissait un goût amer.
Bien que financièrement, il ne risquait rien, la vie et l’ambiance constructive de l’équipe, il y tenait. Sa motivation était à ce prix. Comme le monde lui importait peu, une ambiance, dans un enclos fermé, peut-être, mais avec des gens qui le connaissaient mieux que les autres, lui plaisait plus qu’il ne l’avait supposé. Avec le recul, il s’apercevait que ce n’était pas seulement la couverture que lui apportait son travail de jour, qui avait de l’importance.
Du côté portefeuille, comme le disait Devos dans un sketch, il avait trouvé la délicate combinaison kafkaïenne qui permet de mettre de l’argent de côté tout en gardant un maximum devant lui.
Le soir était là. La journée, toujours aussi belle, avait probablement inspiré les gens à les maintenir dans les terrasses, les jardins et les parcs. Même la concierge s’était hâtée pour terminer sa tâche et profiter de la courette à l’arrière du bâtiment. Vic était pressé. Il grimpa les marches à vive allure sans rencontrer personne. Les trois serrures claquèrent en échos, résonnant sur les murs du couloir.
Une fois à l’intérieur, sans jeter le moindre regard sur la partie normalement habitable, il se précipita dans la partie plus secrète. Sa « planque », c’était ça. Avant d’y entrer, un miaulement retentit, suivi par un frôlement à la jambe. Le seul gardien des lieux que Vic acceptait, vint se coller pour quémander ce qu’il n’avait pas trouvé dans la solitude de sa journée. La faim n’avait pas encore fait ressentir ses effets. Ses préoccupations étaient toutes autres. A tous deux, la priorité était de se désaltérer. Une caresse, un peu de poisson frais eurent raison de l’impatience de l’esseulé naturel.
Dans la pièce cachée, dans un ensemble de reflets et de pénombres, seul les modems clignaient encore de l’oeil avec agitation. Leur lumière blafarde et orangée semblait donner une ambiance de fête en clignotant en alternance. Tout cela dans un silence de cathédrale.
Il n’éteignait jamais ces engins de connexions avec le monde. Le fax avait dû crépiter quelques fois. Plusieurs feuilles gisaient d’ailleurs encore dans le panier de réception.
L’ordinateur serveur était en « stand by » avec son écran dénué de toute vie. Le screensaver avait depuis longtemps dépassé son temps de fonction et avait passé son service au néant.
Vic allait très vite donner vie à tout cet ensemble endormi. Dès le premier attouchement de la souris stationnée près du clavier, l’écran sorti de sa torpeur. Le programme résident en mémoire en permanence était son email. La journée avait été faste de ce côté.
Un à un, le courrier électronique, commença à défiler sous son oeil curieux et impatient.
L’arnaque, qu’il avait lancée la veille, avait été captée par une victime désignée par le hasard. Victime consentante par ignorance, très certainement.
Quand un processus viral germait dans son esprit, il le testait et tout était possible sans complaisance, ni mollesse. L’analogie avec les virus biologiques n’était pas un mythe. La forme informatique était là pour nuire et réduire, pour le moins, la fortune de sa victime. C’était écrit. L’inventeur des virus informatiques, Léonard Adleman, aurait été fier de son émule. Ce spécialiste en biologie moléculaire avait en 1984 écrit les préceptes de cette maladie du quart de siècle suivant. Depuis lors, plus de 100.000 successeurs avaient pris place dans l’histoire mouvementée de cette encore jeune informatique parallèle.
Vic avait pris le flambeau dans cette activité de l’ombre pour son seul prestige personnel. Chercher les “Narcisses” de la toile qui étaient tentés de se faire connaître avec un maximum de détail intimes était sa petite « gâterie ». Les raffinements de l’outil de recherche avaient nécessité des heures innombrables de travaux acharnés de Vic, son concepteur. L’efficacité de sa dernière arnaque, de ce jeu de dupe pour les internautes, était son chef d’oeuvre.
Ce qui lui plaisait le plus, n’était d’ailleurs pas ce qui lui rapportait le plus en argent. Il préférait et de loin ce qui utilisait l’innocence de ses victimes. L’appât du gain était son gagne pain et son gagne plaisir naturel favori. La faiblesse du genre humain, avide d’argent et de gains faciles, l’excitait au plus haut point.
En esprit, il imaginait, avec le sourire en coin, ses victimes avec des yeux en forme de dollars. Avec un certain sadisme, il en jubilait de manière intense et sadique.
La soirée ne faisait que commencer et déjà après le 4ème mail, il sentait que le fil jeté dans la toile, n’avait pas été vain. Une pèche de l’innocence.
La pêche avait été bonne et les poissons hameçonnés sentait bon la friture et la crédulité de l’enthousiasme.
Il lu:
« Cher Monsieur,
Après avoir lu votre proposition qui m’a enthousiasmé tout de suite, je vous prie de prendre en considération ma candidature.
Votre proposition me semble très convaincante et très intéressante. Il serait très innocent de ne pas y faire suite. Veuillez trouver ici après mes données personnelles….»
Suivaient toutes les informations qui avaient été demandées de manière très persuasive par Vic.
“Innocent, tu l’as dit”, pensait Vic avec bonheur.
Plus c’est gros, plus c’est apprécié et tentant. La règle de base était toujours d’application dans le monde d’envie.
Décidément, on perd vite les réalités.
Ceci ne constituait qu’une des premières étapes d’un processus de piratage. Le sommet de l’iceberg. Le “réchauffement climatique” de Vic allait commencer à faire fondre le reste de l’iceberg. Mais ne brûlons pas les étapes, pourrait-on dire.
Il fallait nourrir ce beau monde avide de faux gains faciles et tiré sur ce fil amorcé. Le fournisseur de miracle se voulait de bonne grâce pour soulager son client en mal de l’avidité qui le rongeait.
Cette chaîne d’élans innocents, il ne fallait pas en tarir la source et continuer à l’inciter.
C’était son violon d’Ingres. Oui, mais un véritable Stradivarius.
Les notes étaient à sa portée. Il fallait simplement prendre un peu de souffle. Se sustenter, il y pensa tout à coup.
Il n’y avait pas que le chat qui mangeait du poisson. Lui, il l’aimait, aussi.
Nourrir ses neurones, en prime, parait-il.
La nuit ne faisait que commencer.
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(04) La nuit de tous les dangers.
« Cachez soigneusement votre supériorité de crainte de vous faire des ennemis. » Arthur Shopenhauer
Après un souper, frugal et rapide, retour dans la petite pièce arrière de l’appartement.
Le tour d’horizon de cette pièce n’était pas très décoratif. Rien au mur à part une grande affiche sur laquelle était griffonné un véritable plan de bataille. Personne n’aurait pu déchiffrer cet organigramme sans l’explication de l’auteur. Bien peu de chance qu’il y en ait un jour, un visiteur autre que Vic. En résumé, tout s’y trouvait pourtant soigneusement décrit. Les couleurs utilisées permettaient de distinguer les différentes phases que constituait le plan de bataille. Pas de fioriture, de la précision avec timing de la progression en sur-couche.
Vic n’était pas croyant du tout. Pourtant en bonne place, il avait en bonne place une petite statuette qu’il vénérait avec un certain humour. Il l’appelait “Sainte Cupidité”. Il savait qu’elle lui était favorable depuis bientôt un an. Pas loin sur un des bureau, pour apporter le divertissement, un échiquier de Machiavel traînait sur un établi.
Un véritable réseau en serveur s’était constitué avec une fortune relativement restreinte à ses débuts.
L’investissement financier en machine avait pourtant beaucoup évolué. Toujours garder une longueur d’avance. Sophistiqué, son serveur, à l’instar des grand pourvoyeur d’espace Internet, aurait même pu se rentabiliser comme fournisseur de temps sur Internet. Mais, cela ne l’inspirait pas.
L’investissement intellectuel personnel en temps avait été le plus important. Une phobie maniaque en précautions, pour ne pas être confondu. Une véritable hantise des surprises du hasard.
Très mauvais perdant, le jeu du chat et de la souris avec des rôles mixés l’excitait.
Avec sa formation en intelligence artificielle, il avait créé un nouveau programme qu’il appelait ironiquement le “Moneyscan”. Ce logiciel scannait les adresses IP en permanence. Pour son propre usage, une adresse IP, il s’en assignait une très temporaire pour ne pas d’être découvert.
La technique de « drainage de pognon » avait fait ses preuves jusqu’ici.
Tester les hameçons, ce que les anglophones appelaient “phishing”, et ajuster de jour en jour.
Quelques mails sans intérêt et puis, une avalanche de poissons, plus intéressants. Des internautes généreux avaient mordu.
L’un d’entre eux, un gars, d’un certain âge, du moins d’après la photo, se présentait et répondait par l’affirmative à sa proposition fictive de l’aider. Une contribution, pour frais de dossier était à la clé du partage d’informations et cela avait été accepté sans contestation par son interlocuteur fraîchement émoulu des hautes études. Visiblement, il était aux abois et sur le carreau depuis des lunes. Le poste revendiqué était élevé, intransigeant sur les solutions proposées. Comme tout chasseur de tête pouvait vivre de cette activité d’intermédiaire, il ne s’était pas méfié par la demande de fonds préliminaire. Le montage de la fable apportait ses fruits. Comment passer par un compte sans laisser de trace? Question cruciale. Les ramifications des comptes écrans par Internet apporta la meilleure solution .
Son montage était en effet, la totale. Des couches qu’un vendeur de produit protection solaire aurait pu appeler indice de protection « Écran total ». D’abord, un nom d’emprunt avec compte en « https ». Ensuite, comme il s’agissait d’intelligence artificielle à la base de sa formation, il l’avait sécurisé par des transferts successifs sans laisser de traces.
En parallèle, une autre piste était encore plus ingénieuse. Entrer dans l’ordinateur de sa victime à l’aide son adresse IP. Partie qui était réservée à un processus qui incluait lecture et écriture à distance existant de base dans les langages de programmation. Des instructions s’incrustaient dans des « cookies » si bien que même, les programmes de détection de ces virus déguisés pouvaient se révéler inefficaces. Ils restaient cachés et de plus s’échappaient dans les arcanes des directoires les moins prévus pour ce genre d’exercice.
Ce n’était que la 2ème couche. Restait à orienter l’argent vers des comptes moins impersonnels et moins fictifs. C’était peut-être la partie la plus délicate du montage.
Sur la Toile, ce qui reste le plus transparent, est sans conteste ce qui ne permet pas de remonter la filière jusqu’à la source.
Le programme espion, injecté sur les PC, se mettait tout de suite au travail avec intelligence artificielle à la recherche des adresses email et de nouvelles personnes « foncièrement » intéressantes. L’infection n’avait pas d’antidote prévu en “freeware”.
Une fois détectées, ces adresses venaient s’ajouter à une liste déjà présente dans la boîte de Pandore sous forme d’un fichier caméléon. Une fois par semaine, avec un timing très précis, cette liste était envoyée par le réseau, vers, devinez qui?
Les sources étaient inépuisables. Leurs utilisations, aussi. Les ressources du programme l’étaient tout autant. C’était un réel bijou de programmation qui s’auto-corrigeait une fois infiltré en une boîte noire, indécelable.
Véritable bombe à retardement en perpétuelle construction dans la destruction de l’environnement virtuel de son utilisateur. Le « go » final dans la mise en oeuvre, était orchestré à loisir par Vic au moment voulu et avec la dose choisie.
Le lundi soir, comme ce soir-là, était le jour de la semaine qui avait été choisi intentionnellement pour rapatrier les informations collectées pendant la semaine. La mise à jour automatique du programme faisait partie du “package” de retour. Des statistiques étaient même dressées pour évaluer les chances de succès pour Vic, de malchances pour ses victimes d’occasion. Tout était calculé au centime près. Le risque et le rendement étaient calculés au plus juste.
Le lendemain du week-end était, en effet, le meilleur jour pour exécuter cette tâche. Se mélanger aux mails en pagaille et en rade de ces deux jours de repos était ce qui normalement allait de pair avec une diffusion de masse.
Vic savait d’expérience que la nuit allait être courte. Des heures de travail pour l’analyse des résultats rassemblés et un résumé analytique en fin du travail de sape.
Les frontières des états ne constituaient pas un obstacle, bien au contraire. Elles correspondaient plutôt à une planche de salut. La langue ne se comportait pas comme un problème majeur. L’anglais était utilisé depuis longtemps de bonne grâce au dessus des particularismes linguistiques naturels des États. Les législations différentes permettaient des largesses chez les uns et plus de précautions chez les autres.
Un thriller de l’été, un de plus, mais par couches successives. Les enquêteurs qui n’allaient pas tarder de se mettre en piste, dès l’ouverture de la “chasse”, se trouveraient devant un casse-tête hors mesure. Si une couche de protection venait à lâcher, une autre prenait la relais automatiquement. La dernière remontait à la case départ pour fermer la boucle.
Un « serial killer» nouvelle vague était né. Son expérience se perfectionnait en plus en « real time ». Il avait l’emprise sur ce que l’homme avait de plus cher et pour longtemps encore, la ”maladie du pognon”.
Malheur à ceux qui avaient stocké trop d’adresses émails. Ils étaient la proie favorite et apportaient à Vic une source d’impulsion maléfique allant en crescendo.
Bientôt, il faudrait ajouter en prémisse un avertissement à l’utilisation d’Internet. Quelque chose comme « Attention, Internet peut nuire à votre santé privée et financière ».
Cela devenait de plus en plus clair, plus le temps passait, plus la contre-attaque allait avoir du fil à retordre pour enrayer le processus.
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05: Le lendemain de veille
«J’apprends chaque jour pour enseigner le lendemain.» Emile Faguet
La nuit fut très courte. L’agitation à la fin avait été productive mais éreintante et très consommatrice en capacité de raisonnement.
La check-list qu’il s’était dressée, depuis le début, n’en finissait pas. Le mailing avait donné quelques petits nouveaux "poissons" mais rien de vraiment sensationnel. Le point principal était de vérifier les retours sous forme de dons généreux.
L’analyse du programme, revenu tout ragaillardi, fut, lui, plus intéressant. Si cela devait continuer à cette allure, il sentait qu’il devait bientôt envisager de trouver plus de temps libre. Un travail à plein temps? Cela aurait fait perdre la couverture essentielle à son anonymat. Si partager le boulot apparaissait comme la solution, elle était bien loin d’être dénuée de risques. Comment déléguer sans éveiller les soupçons? La technique de la déchirure du «billet de banque» en différents morceaux venait à l’esprit. Chaque morceau ne donnerait aucune chance de reconstituer l’ensemble. Plus vite dit, que fait. En plus, la répartition et la surveillance des tâches prendrait également du temps.
Apparemment, ces attaques virales avaient été décelées. Repérées par touches successives. Programmes anti-virus ou suite à la perspicacité humaine? Peu importait. Cela demandait une réaction rapide.
Le programme de piratage avait, pourtant, bien réagi. Toujours protégé en lecture derrière des noms de fichiers cachés, il s’était mis au repos, automatiquement, en suivant les ordres inclus dans son architecture. Sa présence en mémoire aurait pu être décelée. En action, les palpitations des loupiotes signalaient sa présence. Cela pouvait, heureusement, être confondu avec l’activité du modem, lui-même. Ce travail de recherche fonctionnait seulement pendant les périodes de travail d’autres programmes se fondaient dans l’ensemble.
N’empêche que, cette fois, il fallait réagir, il était surveillé. Sans changer la donne, il fallait s’assurer de ne pas tomber dans les pièges légitimes lancés par la maréchaussée ou de programmes anti-piratage trop efficaces. Sous estimer ses adversaires n’était pas l’habitude de la «maison».
Vic commença par apporter quelques correctifs pour atténuer le côté corrosif du programme en rendant le processus moins prévisible. Des tests de sécurité furent sa préoccupation principale pour le reste de la nuit.
Ce qu’il faut savoir, c’est que la technicité de son “malware” était démoniaque. Les softwares des utilisateurs sur les ordinateurs des victimes avaient été légèrement modifiés à leur insu. Vic avait détricoté certains programmes usuels qu’il avait découverts. A l’aide d’une sophistication géniale qu’il serait trop technique d’expliquer ici, certaines fonctionnalités peu utilisées avaient été remplacées par du code méthode “Vic”. La signature, le poids en bits de ces programmes avaient été rigoureusement équilibré pour passer outre la plupart des tests d’antivirus. Une véritable “bombe à retardement” était en place. La plus grande difficulté était devenu de ne pas s’infecter lui-même.
Aller se coucher vers les 5 heures du matin n’allait certainement pas lui ramener la récupération adéquate. Ses collègues le ressentiraient très certainement. Mais, ce n’était pas la première fois et de plus, il avait préparé le terrain des questions pour le lendemain.
Souvent dans ces cas, sans attendre la question fatidique, il pensait sortir, les yeux mi-clos, la phrase habituelle pour endormir les soupçons éventuels:
-J’ai encore eu la visite de mon copain Bertrand. On a discuté jusqu’aux petites heures. On devrait certainement avoir bu 2 ou 3 bouteilles de Saint Emilion, aurait-il dit à Bob. Bertrand avait été l’ami imaginaire qui lui venait parfois à l’esprit.
-Je vois le manège d’ici, aurait-il répondu normalement. Ce genre d’argument, Bob connaissait et il n’insistait jamais le sourire aux lèvres.
Vic, comme d’habitude, le remercierait implicitement du coin du regard pour sa discrétion et surtout pour son faible degré de curiosité.
A 08:45, le réveil sonna. Vic avait encore des bribes de rêve en mémoire. Encore fourbu, il aurait bien aimé rester sous la douce chaleur des draps de lit. Il manqua d’ailleurs se rendormir pour de bon. Une cloche d’église sonna à 9 heures et en décida autrement. Il ne devait pas se plier à un horaire trop rigoureux, mais, sortir d’une routine rassurante était un luxe.
Ce matin-là, l’atmosphère était plus lourde, plus moite que la veille. On sentait la fin de la belle période des jours ensoleillés. L’orage était proche.
Il arriva au bureau, vers 09:20, sans accentuer son retard.
Bob était déjà au bureau et visiblement, il n’avait pas bien dormi non plus et pas digéré le raccourcissement du projet.
Le masque de l’honnêteté avait regagné le visage de Vic et il entreprit immédiatement un rôle de séduction en lui soufflant de fausses idées de sécurité.
Encore une fois, plus c’était gros, mieux cela passait.
Le principe était de rigueur de jour et de nuit pour toute population. Vic le savait et pouvait, en période de trouble collectif, apposer son flegme rassurant.
N’était-ce pas le but et sa principale activité de jour comme de nuit?
Inspirer confiance, tous simplement…
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(06) Le réveil de l’adversaire
« Le vainqueur est celui qui fait une faute de moins que l’adversaire. » Philippe Bergeroo
Pendant ce temps, dans un ailleurs, il y avait un bureau des fraudes. Trois inspecteurs se faisaient face sur des bureaux engorgés de machines. Pour tout un secteur du territoire, ils étaient en charge de surveiller le réseau contre la pédophilie, les malversations qui se déroulent insidieusement sur la toile.
Des écrans de surveillance étaient même plus nombreux que les claviers auxquels ils devaient se relier normalement à l’autre bout des unités centrales.
- Patrick, viens voir. Il y a quelque chose de bizarre », lança, tout à coup, l’un d’eux. Patrick se leva curieux, mais sans entrain. Il avait l’habitude de découvrir des choses curieuses. Le métier le voulait, mais cela ne l’excitait plus outre mesure. Les enfants l’avaient épuisés la veille et cela ne devait pas éveiller en lui une fougue particulière.
- Que se passe-t-il? Qu’as-tu découvert? », fit-il, semblant s’intéresser à son collègue.
- Hier, déjà, j’avais remarqué une activité suspecte sur le net. Tout de suite, j’ai placé nos détecteurs de virus en éveil. L’antivirus, l’anti-fishing installés sont au niveau de la dernière version. Le grand jeux habituel, quoi. Aujourd’hui, tout a disparu. Je ne comprends rien. Plus rien.
- Es-tu vraiment sûr de la version de tes parapluies? » répondit-il, avec un sourire sarcastique aux lèvres.
- Bien sûr et c’est ça qui est inquiétant. J’ai téléphoné à notre fournisseur car bien que la recherche de mise à jour ne donnait rien, je préférais m’en assurer. Quelle version as-tu, toi?
- Attends, je vérifie. Voilà, je l’ai : la 25.12.
- C’est la bonne. J’ai la même, pas de problème. Pourtant, je suis certain de ne pas avoir eu la berlue. Je vais revoir les listings de log. On verra bien si tout est normal. »
Un hochement de tête de Raymond mis fin temporairement à cette alerte passagère. Surveiller le réseau et surveiller encore, Patrick savait de quoi il fallait parler. Il avait communiqué son manque de sérénité à son collègue au passage. Il avait ainsi obéi au devoir de la maison. Travail d’équipe que ce service. Chacun sentait bien depuis longtemps qu’il était à l’étroit dans les effectifs.
Ce que Bernard et Patrick ignoraient c’est que le programme avait lui aussi détecté cette levée de bouclier. Il réagissait comme un humain, plus vite que lui, et se plongea en léthargie, à l’écart et près à se dupliquer. En même temps, un processus de ralentissement s’accroissait de manière exponentielle, s’était installé dans la machine de sa victime. La machine, dès lors, délivraient, progressivement et insensiblement, de moins en moins de Mips prévu par contrat avec l’achat de la machine.
Seulement un peu de processus perdu en pertes et profits, de temps en temps. Un “overhead” de plus, aurait pu penser l’anglophone expert qui résidait en Patrick.
Les varices au cerveau seraient pour plus tard, mais ils ne pouvaient pas encore s’en douter.
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(07) On s'inquiète aussi à la maison Poulaga
« Le temps n’est pas seulement le seul véritable ennemi de l’homme, c’est également et surtout son ennemi le plus sournois, le plus lâche. Et, bien sûr, le seul que l’on n’ait pas la moindre chance de vaincre » Jacques Sternberg
Le lendemain, un télex arriva sur le téléscripteur de la police anti-piratage sans attirer l’attention. Il ne fit que s’insérer parmi d’autres déjà présents sans attirer l’attention.
Patrick, agent spécial de la brigade, en avait l’habitude et aucune précipitation n’aurait pu l’inciter à le récupérer dans la pile.
Après un certain temps, il s’exclama en surprenant les autres:
- Mais, qu’est-ce qu’elle a ma bécane? Elle rame de plus belle. Cette fois, j’en suis sûr.
- Tu n’en as décidément jamais assez de vitesse », rétorqua Bernard, son collègue le plus proche. Il continua par une réponse en rictus « Tu viens d’obtenir le processeur le plus puissant, *ingrat. Les deniers publics, qu’en fais-tu ? ».
- Je t’assure que c’est nouveau. Jamais, je n’avais ressenti du plomb dans les connexions de mon PC. Il me semble que je traîne des casseroles dans mes circuits.
Cette fois, Bernard fronça les sourcils et s’approcha intrigué.
- Tu n’as vraiment rien chargé de nouveau récemment? », fit-il dubitatif pour répondre à un diagnostique naturel en de telles circonstances par réflexes conditionnés.
- Rien. Depuis une semaine. J’en suis sûr », conclura Patrick presque contrit de ne pouvoir donner une réponse plus sensée à son collègue.
Bien que la conversation entre eux n’avait pas pris des allures trop exaltées à une altitude de voix exagérée, la porte du bureau du fond s’ouvrit et le chef, Donald, apparut.
- Vous avez des problèmes? », s’enquit-il l’air inquiet.
- C’est à dire qu’il me semble que mon Pc a pris un coup de vieux en moins d’une semaine et j’aime pas ça. A part hier, un léger soupçon que quelque chose d’anormal aurait pu se passer mais rien ne pouvait justifier un ralentissement », dit Patrick, décontenancé.
- Je vous rappelle qu’il faut m’avertir immédiatement de toutes choses qui vous paraissent anormale », s’énerva-t-il sans plus.
Traduction littérale et instinctive pour tous les autres: « C’est à vous de prendre des initiatives et de frapper à ma porte pour me mettre au courant. Je suis votre supérieur direct. Il ne faudrait pas l’oublier. J’ai un maximum de contacts avisés qui me permettent de réagir avec efficacité. La sécurité, ça me connaît. Je suis là pour cela ».
La cerise sur le gâteau ou le sel sur la morsure aurait été : « Je vous ai donné toute ma confiance ».
Patrick, rouge, non de honte d’avoir mal agis, mais à cause de la surprise de l’attaque déguisée, répondit bougon:
- Je ne vois aucune raison valable d’ameuter tout un département pour une question de soupçon personnel et de machine qui a décidé de prendre quelques vacances.
Mentalement, ces derniers mots lui rappelait qu’il y avait bien longtemps qu’il n’en avait pas prise de vacances. Cette altercation aurait au moins eu cet effet rétroactif et bénéfique pour le moral.
Donald, mis sa fausse colère en sourdine, plus intéressé par l’objet de la discussion lui-même.
Objectifs et psychologie, les deux mamelles d’une direction bien enseignée. Il prit la bonne attitude et s’effaça.
- Ne vous inquiétez pas. Je vais interroger la base de données pour voir si nous sommes les seuls à avoir détecté une anomalie. », répondit le chef conciliateur.
Il prit au passage la pile de télex qui avait gonflé lentement dans le bac de réception.
Une fois assis dans son bureau, Donald reprit le paquet de feuilles imprimées.
Dès la 4ème page, son attention fut attirée.
« Détection d’une présence anormale en machine, suivie d’un ralentissement constaté. Possibilité de virus informatique ».
Flash. La bile lui remonta dans la gorge et, d’un coup brusque, il se projeta sur la porte, fier d’apporter ses conclusions, trop content aussi de manifester de manifester son utilité.
- Patrick », cria-t-il, sans s’en rendre compte, pour être entendu bien au delà des oreilles de l’intéressé, «vous avez ici la raison de votre problème », en tendant, du bout des doigt, le télex qui donnait raison à sa perspicacité. « Faites vite un « system check » et téléphonez à notre fournisseur d’antivirus », furent ses dernières paroles.
Le doute n’était plus permis. Une attaque virale nécessitant une comparaison avec une image de la situation du disque, initiale et saine, s’imposait. Il avait mis les pendules à l’heure et ne voulant pas envenimer la situation, retourna dans son bureau.
N’en menant pas large, Patrick s’exécuta.
- Allo. Ici, la brigade anti-piratage de la police. Nous avons l’impression de subir une attaque virale de nos systèmes informatiques. Notre software de détection est mis à jour automatiquement. Version 25.22 depuis 6 jours. N’avez-vous rien de nouveau à nous servir?
- Non, vous avez bien la dernière version. C’est assez calme pour le moment. Période de vacances. Nous allons pourtant vérifier un peu plus et nous vous rappellerons s’il y a des nouvelles. Merci de votre appel et pour votre patience.
Patrick raccrocha. Il n’était nullement rassuré pour autant. Si personne n’avait détecté quoique ce soit chez eux, on était mal parti. Deux impressions de piratage, ce n’est pourtant pas rien, se disait-il. Il n’avait pas rêvé.
Son enquête personnelle ne faisait que commencer mais il se faisait fort de découvrir ce qui générait l’inconvénient bobo de sa machine.
Quelques télex d’avertissement à envoyer aux collègues tout d’abord, après les grandes manœuvres pour tâter le terrain.
Il faut aller vite car la contagion peut dépasser les frontières à la vitesse de la lumière et il le savait.
Il lança la validation simple de son système prévu par l’antivirus.
Après 10 minutes, il était fixé ou, plutôt, il aurait aimé l’être car aucun virus n’avait montré le bout du nez. Rien. Nothing. Nada.
Ça ce corsait, donc. Il fallait les grandes manœuvres. Une vérification par comparaison avec cette fameuse image devrait lui faire découvrir le pot aux roses fanées ou du moins des indices.
Les signatures des fichiers sont les moyens les plus efficaces pour identifier tout intrus, se dit-il confiant.
Bernard suivait, du coin de l’oeil, l’excitation de son collègue dans ses agissements avec inquiétude. Quelle forme l’attaque allait-elle prendre? Les bonnes surprises, tout le monde les aime, mais les poissons d’avril en plein été, il y avait de la marge qu’un inspecteur ne peut franchir à l’insu de son plein gré.
Une heure de processing intense fut bien nécessaire pour arriver au bout de la comparaison signature par signature du début avec les actuelles.
Une liste de discordances de près de 3 pages avait été imprimée comme résultat.
Cela ne voulait pas dire que chaque ligne de la liste était suspecte. Bien au contraire et heureusement d’ailleurs. Seul, le potentiel de malversation existait dans ces lignes sans plus.
90% des différences s’expliqueraient facilement en fonction de l’évolution du disque et de son utilisation normale. 8% demanderaient de la recherche plus intensive. Et, au bout de la recherche, comme toujours, le prédateur identifié.
Patrick sentait que sa journée de travail allait être bouffée par l’opération « Monsieur Propre ».
Il valait mieux prévenir l’épouse qu’un retard dans le retour aux pénates, avait beaucoup de chance de se produire. Des heures sup, je vais pouvoir payer quelques petits cadeaux pour le gamin, se dit-il pour s’encourager.
Avant que quelque chose ait pu éveiller le déclic de l’alerte rouge chez les fournisseurs d’antivirus, il aurait eu le temps d’analyser la situation utilement. Une course contre la montre excitait son ego. Dans ce cas, le jeu de Colin-maillard ne lui déplaisait qu’à moitié. Le fournisseur d’antivirus avait déjà fait preuve d’un manque d’élasticité et de promptitudes.
Ce qu’il ne savait pas, et pour cause, c’est qu’il ne pouvait rien découvrir. A part, une comparaison octet par octet de tous les fichiers, rien n’aurait pu ressortir comme danger potentiel.
Le poids total des fichiers était rigoureusement identique. Donc, c’était « choux blanc » assuré en fin de parcours.
Certaines fonctionnalités, substituées sans laisser de trace, avec la perfection de Vic, il n’avait aucune chance. Le camouflage parfait.
Les heures passèrent. Pas de coup de fil salvateur. Pas d’« Eureka » à proférer en signe de victoire pour sa récompense.
Il avait l’impression de nager dans une eau troublée dont l’agitation n’allait jamais trouver de fin. La sueur au front participait dans le processus. Le stress prenait tout doucement le dessus en cassant son ego.
Pas de bouée de sauvetage et pas de port d’attache pour s’esquiver de sa tâche. Il avait demandé de rester seul et fier.
Penaud, déçu à une heure avancée, les collègues qui s’étaient esquivés depuis longtemps, un à un, sans oser le déranger, il fallait bien se résigner à rentrer chez lui.
La vexation produite par une vérification infructueuse était ce qui l’exaspérait le plus.
Demain, allait être un autre jour et pas nécessairement meilleur.
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(08) Réflexions à rebrousse poil
« Rêver est souvent une manière de compenser pour ce que nous n’avons pas ou n’osons pas. », Roch Carrier
« Non, par pitié. Non, laissez-moi. Je ne vous ai rien fait. »
De vilaines bestioles volaient au dessus de sa tête. En piqué, elles assénaient des piqûres douloureuses et infligeaient des cicatrices sur la peau dénudée de Patrick.
Celui-ci frappait à gauche et à droite, protégeant ses yeux aux mieux. Les oiseaux de Hitchcock étaient des oiseaux de chœur en comparaison avec ces rapaces qui le déchiquetait de toutes parts.
Alors, il courra à toutes jambes droit devant lui sans espoir de reconnaître son chemin de retour. Il frappa encore un grand coup et un oiseau de malheur s’abattit à ses pieds. Il buta sur lui et essaya vainement de se rattraper.
Sur un plan existentiel différent, il se sentit secoué et une voix rageuse vint à ses oreilles:
- Arrête, réveilles-toi, tu es en sueur et tu me découvres.
Le déclic fut immédiat. Il s’éveilla surpris de la moiteur de sa couche.
Il ne mit pas longtemps à revenir complètement à lui. Le coup que sa femme avait reçu sur le bras témoignait de la violence de son combat cauchemardesque. Une ecchymose prenait des allures bleuâtres du plus mauvais effet.
Elle acceptait déjà difficilement des nuits pendant lesquelles son homme s’évadait en ronflant à tue tête. Alors, prendre des allures de femmes battues ne lui plaisait absolument pas.
Le reste de la nuit, il resta éveillé et réfléchissant dans la sueur.
La matinée, qui suivit, commençait manifestement très mal.
Sa femme lui rappela les péripéties de la nuit et lui fit ressentir son ressentiment, consentant jusqu’à un certain point, de manière bruyante et explicite.
Le petit déjeuner se déroula dans un silence noir. Beaucoup d’images, mais plus de son. Ce silence, il continua à le mettre à profit. Réfléchissant, des éclairs de logique lui permirent de sortir d’un état de torpeur qu’il détestait.
Et si ce n’était pas des fichiers exécutables qui torpillaient mon ordinateur? . Des virus polymorphiques, il en avait déjà entendu parlé sans en rencontrer d’acteur aussi parfaitement incognito. Qu’est-ce que j’ai accédé hier? Quels sont les fichiers d’informations qui me sont parvenus? Des fichiers PDF, de données parvenues par email ? Mais oui, c’est peut-être cela. En général, les virus se retrouvaient dans les programmes exécutable pas dans une forme anonyme et inopérante contenant des données. Et si cette fois, les choses avaient changé.
Il savait, cette fois, au cas où aucune nouvelle ne parvenait, à ce à quoi il allait destiner sa journée. Cela le rassura un maximum. Il allait débusquer l’intrus, la « bête », dans son trou. Il le fallait et il était décidé à y mettrait le temps mais cela n’était pas le problème.
Contrairement aux autres jours, il était pressé de regagner son bureau. Au diable, le patron, s’il s’avisait de proférer une remarque désobligeante. Aucune interférence à son plan de bataille ne serait acceptée. La veille, son épouse avait bien tenté de lui demander des explications à son mutisme rêveur. Sans succès. Son regard était resté impassible
La journée allait être faste en découverte, il le sentait intimement. Il n’avait pas tort. Elle allait se révéler bien en deçà de son imagination.
Encore une fois, il ne pouvait pas le savoir. S’il l’avait su, il aurait certainement préférer rester où il était.
Le lit a de ses avantages incontestables.
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(09): Desseins « Bleu réseaux »
« On méprise les grands desseins lorsqu’on ne se sent pas capable des grands succès. », Vauvenargues
Ce matin-là, Vic se senti vraiment frais et dispos. Il y a des jours où on se sent pouvoir faire des miracles. Le sommeil avait été profond et réparateur.
Rien n’avait imposé une veille prolongée et il s’était couché de relative bonne heure. Son esprit avait pour l’occasion, fait le vide. Ses neurones rafraîchis étaient prêts à donner un maximum d’efficacité alliée à son imagination fertile.
Il restait toujours surpris de l’attraction que l’argent manifestait pour ses semblables. Il aimait l’argent, oui, mais pas pour les mêmes raisons. Il en avait sur plusieurs comptes locaux ou étrangers prêts à donner le coup de pouce nécessaire en cas de besoin dans sa « petite entreprise parallèles ». Mais ce n’était pas là qu’il fallait rechercher ses motivations et convictions.
Le jeu, lui, aurait pu, peut-être, mieux entrer dans ses cordes, mais il n’aimait pas perdre ni compter sur le hasard comme entremetteur. L’argent symbole de pouvoir était sa pensée comme une abstraction déplacée dans la virtualité et qu’on ne matérialise dans le tangible. Il était devenu fictif, représenté par une seule écriture comptable sous la ponctuation d’un clic et d’une souris en balade sur l’écran.
L’art du haut vol, style Arsène Lupin avait existé dans le monde d’avant. En ce temps, on allait sur les lieux du forfait. La modernité et le virtuel apportaient seulement de nouvelles voies bien plus efficaces.
Le rêve, il le réservait en fin de compte aux autres. Il n’y avait que lui pour savoir qu’en finale, il se terminerait en cauchemar pour les tiers. La sonnette d’alarme pour le client était devenue trop peu opérante par l’aveuglement de la rentabilité. Face à la facilité apparente de doubler une fortune dans un laps de temps anormalement court, la résistance est toujours minimale. L’interdit attise la motivation dans ces transactions de dupe. Une fois, la supercherie découverte, le client reste tellement imbriqué dans le jeu de la perversion qu’il ne pourra que mollement sortir du pétrin dans lequel il s’était glissé de bonne grâce.
Au bureau, Vic ne pensait plus à cet état de la fragilité humaine. Son esprit s’était mis à fonctionner en multiprocesseurs.
D’un côté, le projet pour lequel on le payait généreusement et de l’autre, l’extension de son entreprise nocturne qui manifestement ne connaissait pas la crise et qui nécessitait de plus en plus de temps.
Le problème, c’est que, pour être efficace, il aurait fallu une aide supplémentaire.
Quelqu’un de confiance se construit avec le temps.
Durant la journée, de nouvelles idées lui vinrent à l’esprit.
Le projet « Autoscan » de la Société, même si les instances supérieures en avaient coupé un bout des ailes, demandait un degré d’urgence bien plus important qu’il n’y paraissait. On s’impatientait en haut lieu.
Des appel d’offres avaient été lancés sur Internet et des CV commençaient à entrer plutôt péniblement. Le recrutement avait été assigné à Gérard pour les premiers contacts et à Vic pour la partie plus technique des interviews.
A partir de 10:30, il avait deux interviews planifiées et il se disait secrètement que si l’un d’entre eux ne convenait pas mais qui exprimait une motivation suffisante pour le gain, il pourrait lui proposer une place pour un ‘ami’ embaucheur. Celui-ci aurait naturellement été en voyage et difficilement joignable. Vic, représentant, serait là en agent recruteur.
Son plan personnel devait seulement éviter certains risques.
Découper le travail sans en dévoiler la structure dans son ensemble, allait occuper son esprit jusqu’à l’heure des interviews.
A 11:35, le premier se présenta. Un manque d’expérience était son plus grand défaut. La décision finale ne lui appartenant pas, il cotait les prestations dans une échelle de 1 à 10. Il termina l’échange assez vite par un immuable « On vous écrira ». Cote: 4/10.
Le second fut en retard et s’en excusa par les transports en commun trop peu fiables à son goût.
Son problème personnel vis-à-vis de RobCy résidait dans son éloignement. Un absentéisme physique rédhibitoire et caractéristique n’allait pas plaire aux supérieurs de la société.
Il correspondait par contre très bien au profil que Vic cherchait.
Il embraya donc tout de suite en lui présentant le stratagème qu’il avait mis en boîte quelques heures auparavant.
Jeune et malgré tout plein de talents et d’expériences en informatique, c’était indéniable. Il avait répondu aux questions comme s’il s’agissait de répondre avec assurance aux questions que le film de la veille à la télé avait laissé en suspend. Il avait des atouts que Vic avait ressentis dès le départ. Il n’avait pas seulement des connaissances théoriques apprises dans les bouquins, il avait su lire entre les lignes du savoir par l’expérience et la réflexion. Ne pas pouvoir se rendre au bureau très facilement importait peu pour le travail que Vic lui proposerait à titre personnel. Il trouvait que c’était même un atout majeur car il n’avait pas de bureau à lui proposer. Son plan imposait un employé à domicile. Les communications type internet, téléphone, mail relieraient le tout. L’aspect ‘intelligence artificielle’ stipulé dans l’annonce pouvait être une lacune et un point faible aux yeux de RobCy. Pour Vic, c’était le cadet de ses soucis avantageusement remplacé par son besoin de travailler le plus rapidement possible.
Sa place ne sera donc pas à RobCy mais chez Vic & Co. Il le fit ressentir à son jeune interlocuteur. Il lui fit comprendre que son « ami » lui avait laissé les coudés franches et qu’il pouvait considérer se sentir engager. Une signature fut même présente dans la conclusion de ce pacte mi-présent, mi-absent pour la deuxième signature fictive de l’ami absent.
Dès la semaine prochaine, Vic reprendrait contact. Tout avait été dit. Une poste restante fut proposée pour faire l’échange de matériel, son adresse privée comme lieu de rendez-vous une boîte électronique pour les contacts de confiance. Plus tard, d’autres portes pourraient s’ouvrir mais on n’était pas encore à ce stade.
La journée avait décidément bien commencé. Vic avait son aide, son Pygmalion. A lui de répartir intelligemment les tâches sans éveiller les soupçons dès le départ.
De cela, il n’avait pas trop de crainte. Pour un informaticien, scinder un projet en blocs fonctionnels, cela s’appelait dans le jargon « Couper un projet en « objets » ou en boîtes noires (’black box’) ». Il suffisait de les rendre un peu moins noires en les réunissant progressivement. Mais, cela restait une tâche d’un chef d’orchestre. Vic en avait la carrure intellectuelle.
L’expérience naissait avec la première fois. Tester faisait aussi partie de la panoplie de l’informaticien.
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(10) Préparation de la délégation
« On peut déléguer des tâches mais pas les responsabilités. » Yannick Therrien
La nuit suivante, une excitation supplémentaire occupait l’esprit de Vic. Il avait écourté ses obligations quotidiennes au bureau. De ce côté, cela devenait de la véritable routine bien huilée.
Lundi soir, prochain, il y aurait le retour programmé des informations récoltées par son fameux programme espion: le « MoneyScan ». Pendant la semaine, le rôle de Vic se limitait à répondre aux emails en restant le plus possible masqué par pseudo interposé. Plusieurs courriers avaient attiré son attention et lui confirmaient que le processus de boule de neige était en marche inexorablement.
Plus efficace que le bouche à oreille, Internet avait des ressources insoupçonnées et écourtait de manière drastique les échanges d’informations.
Dans le lot d’informations, il était clair pour le nez fin de Vic que la plupart manquait d’intérêts. Cela n’avait aucune importance. Il s’agissait de correspondances style donnant-donnant en tâtant le terrain à la base. Uniquement les questions-réponses créait le progrès pas la question. Dans ce cas, il y mettait immédiatement fin et le silence radio. S’il avait le temps, en gros, il ne fallait pas que ce soit en pure perte.
Cinq adresses Internet tournantes qu’il utilisait comme vitrine de son activité, pardon comme écran, avaient bien servi ses desseins. Bien utilisées et usées, il était souvent judicieux de sentir le moment propice qui sonnait l’abus. Le sentiment de l’arrivée de moment n’avait aucune alerte bien précise. Une faible sonnette par l’expérience tintait alors, seulement pour avertir de la fin de la récréation. Alors, il les fermait tout de go et en ouvrait d’autres plus fraîches avec une apparence semblable mais en s’efforçant d’éliminer les traces qui menaient à son repérage.
Pour vivre heureux sur la toile, il fallait, plus que partout ailleurs, vivre caché et se découvrir juste un peu moins que le temps nécessaire.
Hors, les outils modernes “sociaux” comme on dit, allaient à contre sens. On aime se montrer, se définir plus qu’il ne faudrait. On tombe en adoration de son image, même. On aime les précisions. Pour ce faire, pas de limite, du moment que l’autre pourra catégoriser son interlocuteur. Le narcissisme plaît. “Être la plus belle pour aller danser” se fait désormais sans bouger. Alors, on entre dans l’intimité de ses avoirs. On veut trouver l’âme soeur. C’est tellement pratique avec Internet.
Cela c’était le des fonds de commerce de Vic par excellence : user de l’ego.
Pour se donner de l’entrain et de l’imagination, il alluma la chaîne haute fidélité connectée à son PC. Une musique douce de Mozart emplit la pièce de toute part en octophonie. Cette douceur ne tranchait qu’en apparence avec la fougue de Vic. Le calme musical lui donnait la pincée nécessaire à son envie d’inventions. Les notes emplirent l’espace réduit de ce bureau futuriste de manière tellement anachronique. Vic aimait être entouré de notes douces dans le registre classique. Ces moments de douceurs lui permettaient d’extraire le maximum de lui.
Il n’était désormais plus seul en piste. La priorité résidait dans le partage et les attributions de la charge de travail. Il fallait que tout paraisse normal dans les normes des pratiques de relation entre chef et exécutant. Laisser transparaître une odeur de sainteté sur les tâches distribuées était la règle de conduite prudente. Transgresser cette loi demandait la préparation de l’antidote.
Très méthodique, il créa un tableau dans son tableur. Une colonne pour les fonctionnalités, une autre pour le degré de risque, un autre encore pour décrire le processus adopté et une dernière avec artifice pour endormir les soupçons les plus subtils. La gradation dans les réparties était à imaginer avec le maximum de détails.
Les étapes en lignes ne manquaient pas. Ce travail de répartition était fastidieux mais, pour lui, absolument nécessaire. Le degré de difficulté des tâches et l’urgence des tâches entrèrent en fin.
Une organisation du travail claire à l’avantage de diminuer le stress.
Presque en même temps, le énième CD arriva en bout de course et la musique s’éteignit.
Un esprit plus va-t-en guerre était plus propice. Du Wagner, lui vint tout de suite à l’esprit. L’ouverture des Maîtres Chanteurs s’adaptait parfaitement à l’instant solennel.
De retour à sa feuille de travail, il la tria par degré de dangerosité vis-à-vis de l’extérieur.
Du degré 1 à 5, il pouvait déléguer la tâche. Au dessus, pas question de sortir de la pièce sans risquer d’éveiller un esprit trop inquisiteur. Il se les attribuait.
Le sort en était jeté. Il savait qu’il fallait joué serré. Travailler à deux a toujours demandé du doigté pour un chef d’orchestre dont les membres ne peuvent connaître qu’une partie de la partition. Le nouveau « clarinettiste » allait devoir jouer en finesse sous sa fine baguette. Jamais, il n’avait imaginé que cela s’harmoniserait aussi bien qu’avec la musique.
Battre la mesure, faire la composition et l’orchestration, il s’attribua ces tâches plus à sa propre mesure. La composition de cette musique devait donner un duo corrosif et très productif mais style “allegro” mais jamais “furioso”.
Le travail accompli, il n’eut aucune peine à s’endormir du sommeil du juste.
Enfin « juste ». Faut s’entendre sur les mots: du côté pile, bien entendu.
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“La mouche qui veut échapper au piége ne peut être plus en sûreté que sur le piège même.”, (Georg Christoph Lichtenber)
Il en avait entendu parlé mais ne voulait pas y croire.
Tout ordinateur moderne s’enlise dans les télé-chargements de plus en plus nombreux. Il le savait et était préparé et formé pour contrer les situations les plus dangereuses. L’utilisateur lambda, lui, n’aurait évidemment pas pris la peine d’aller aussi loin dans la surveillance. Cette idée de “cachette surprise” frisait vraiment la perfection, Patrick devait le reconnaître. Il était fier de s’être mis au niveau de cette perfection. Cela n’allait pas se passer comme il le pensait encore une fois.
A la police, par contre, ces télé-chargements autorisés ne se comptaient heureusement que sur les doigts d’une main au cours d’une année. Charger les parapluies, les paratonnerres, oui. Pas la pluie ni le tonnerre.
Cela augmentait les chances de Patrick d’autant pour permettre à celui-ci d’élaguer, d’éclaircir un peu mieux le « comment ». Le « pourquoi », le « avec quoi » et « par quoi » restaient à découvrir.
La police ne disposait pas encore d’un programme de détection aussi perfectionné que celui de Vic. La science fiction avait été dépassé par la réalité dans la passion de la perfection. De cela Patrick ne pouvait pas s’en douter.
Le nom du fichier litigieux, Patrick s’en doutait, ne devait pas correspondre à rien de fâcheux. Chercher ce qui était nouveau et normalement découvrir le pot aux roses.
Son réflexe automatique en tant qu’utilisateur averti, lui fit perdre pourtant des points dans l’échelle de la perspicacité.
Le problème fut vite identifié. Il détruisit, aussi vite trouvé, le fichier de tous les dangers. Il se réfugia dans la poubelle d’attente. En attente d’une analyse par un service compétent. Le fichier du purgatoire pourrait-on dire.
Une fois le ravage opéré sous sa forme virulente initiale, les fichiers de données, en faux frères, se métamorphosaient, s’endormaient avec une extension sans intérêt pour tout programme sensés les éradiquer et s’infiltraient dans un directoire de repos caché non prévu par l’usage habituel.
Ce qui était programmé de base se mit en marche très normalement. En détruisant le virus, l’infection s’auto-regénéra avec un nom tout neuf et une location résidente totalement différente.
En plus de cette résurrection instantanée, une écriture d’une petite note dans un log se mémorisa et prêt à avertir qui de droit ou plutôt qui de pouvoir.
En plus, Patrick n’avait rien éradiqué du tout en agissant de la sorte. Il perdait en plus une chance de refaire avec facilité l’opération une nouvelle fois par la suite. Un coup de l’arroseur arrosé moderne.
« Un sous-marin coulé » aurait scandé triomphalement un joueur de combat naval. C’était plutôt un jeu de l’oie. Par le décompte d’une unité, c’était un retour à la case départ.
Un raté, de plus. Patrick l’ignorait encore à ce stade. Le sommeil avait repris ce virus.
Malheur à l’expert qui n’a d’expert qu’au nom de l’expérience et pas de l’imagination.
En réutilisant le fichier, plus tard, sans meilleur protection, il allait s’infecter à nouveau, fortifié, avant de re-mourir dans le cimetière des fichiers virtuels.
A tout hasard, Patrick compléta son rapport et envoya ce fichier de malheur à un expert qu’il connaissait chez le fournisseur « Antivir » avec mention spéciale et tête de mort pour faire vrai sur l’étiquette.
Il respira mieux, le travail accompli.
Le bonheur allait, comme on s’en doute, n’être que de courte durée.
Chacun sait que le futur doit toujours garder son effet de surprise intact pour apporter le piment à la vie. Encore, fallait-il ne pas être trop sensible.
Les pièges du Grand Maître ne faisaient que reprendre du souffle. Un pas en arrière pour mieux sauter.
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”Quand le mort repose, laisse reposer sa mémoire ” Ben Sira
Le week-end qui suivit, Vic s’octroya quelques vacances dans sa deuxième résidence à Malte. C’était sa contrepartie à sa rigueur. L’exclusive contre l’exclusive.
Il avait réservé une place en première dans l’avion de ligne. Il restait toujours loin de tous touristes qui devaient pulluler en cette saison.
A bord, comme reflex, il sortit son portable comme il avait deux heures devant lui. Pour avoir déjà subit son ‘non’ catégorique, l’hôtesse ne le dérangea plus. Le champagne, oui. La conversation, même avec le beau sourire, il valait mieux chercher ailleurs.
Il aimait le côté monotone du bruit des réacteurs. Les nuages qui défilaient par les hublots n’eurent d’ailleurs aucune chance d’attirer son regard blazé, l’espace d’un coup d’oeil. Le temps passa vite perdu dans des plans machiavéliques mais rêveurs.
A peine, les derniers rivages de la Sicile s’estompaient que l’avion commença à descendre précédée d’une voix douce l’annonçant dans un laïus parfaitement rodé.
Il jeta le premier regard vers le hublot, par habitude.
L’île de Malte apparut très vite. Toute petite, au départ et s’accompagnant de ses deux alter ego bien plus petites encore. D’abord, au centre, la ville de Mosta avec son dôme en téton apparut derrière le hublot sur la colline qui surplombe le reste de l’île. Bien vite, cependant, la capitale maltaise, La Valette apparut tel qu’un vaisseau de pierre calcaire doré. Fier, cet esquif pierreux fendait les eaux bleues de la Méditerranée surplombées d’un soleil en pleine forme. Cette impression, décrite dans les guides touristiques, restait inchangée comme une ville endormie depuis sa fondation depuis trois siècle. Cité bâtie par des grands et pour des grands gentilshommes qu’étaient les chevaliers organisés en guilde. Dirigée en alternance par ces Chevalier de l’Ordre de Saint Jean en provenance de tous les horizons de l’époque. Vic aimait leur histoire. Rejetés de Jérusalem et de Rhodes, ses héros avaient dû défendre leur existence par des effets d’armes de hautes gloires. Le fort de Saint Elme protégeait encore la ville et le port de bateaux en provenance d’orient et d’occident. Cet éperon rocheux trouvait une harmonie avec des rues rectilignes, en croisillons équerres parfaits pour apporter le rationnel au service de leur stratégie. Vic aimait cet esprit de rigueur.
Miniature pour un habitant de San Francisco, La Valette avait ses rues plongeantes dans la mer. De multiples clochers confirmaient la piété toujours respectée par les habitants.
Atterrissage rapide. Pas de bagage. Dédouané, il se retrouva à l’extérieur de l’aéroport.
Les bus avec les ex-voto, les images de sainteté de couleurs vives apportaient l’exotisme au touriste qui pouvait le voir. Ce n’était pas le cas de Vic.
A destination, sa maigre mallette d’une main et son PC en bandoulière, il se dirigea vers le taxi le plus proche.
Sa villa ne se situait pas sur l’île même mais sur celle de Gozo, tout à côté. Il aimait transiter par la capitale médiévale ne fut-ce que le temps d’une courte promenade en taxi, à la recherche d’un bateau rapide. Toute adresse est tellement exotique, tellement bizarre qu’il valait mieux l’écrire sur papier que de la prononcer. L’anglais ne s’accordait pas encore à cette prononciation même si c’était la langue usuelle.
Marsaxlokk, la ville de sirocco, nom typique guttural n’était qu’un exemple parmi bien d’autres. Mais, cette fois, destination à pleine vitesse vers Gozo et Marsalform, station balnéaire principale, marina d’où la villa de Vic était visible, plantée pas bien loin à l’ouest.
La mer turquoise entourait cette ville plantée au bout de l’île comme un éperon.
Il venait se ressourcer comme dirait les touristes mais pas à leur manière classique. Les moments de cogitations viendraient plus tard. Il voulait se donner une parenthèse pendant ces quelques heures de repos.
Sur Gozo, le taxi se dirigea vers sa planque de second niveau. Autour, aucun voisin à moins d’un kilomètre à la ronde, les pieds dans l’eau.
Véritable mausolée dédié à la solitude ou cocon à l’épreuve des intrus. Il eut vite fait d’oublier la petite auto, le boulot par le dodo réparateur. Cette solitude, il se la considérait comme les moments privilégiés de la vie toujours en solo.
Lundi, comme toujours, il y aurait les heures supplémentaires tout aussi solitaires, mais c’était encore loin. Nous étions le week-end et il réussirait, c’était écrit, à passer des moments magiques.
Il devait repartir, comme toujours, en homme neuf avec des idées neuves et originales.
Sous le parasol, surtout, pour ne pas revenir avec un teint trop cuivré et devoir donner son emploi du temps avec trop de précision aux collègues. Expliquer quel banc solaire avait servi pour lui donner ces couleurs pain d’épice, c’était pas trop son truc. Il s’endormit.
Dans son rêve, il imagina Bill qui s’était payé une petite virée en ville avec sa dernière conquête. Sans insister, il avait proposé de multiples fois de se revoir pendant les week-end.
Bill ne comprenait pas pourquoi ce grand blond n’avait pas encore découvert l’âme soeur et pourquoi il ne dépensait pas plus pour profiter de la vie.
- Tu es un ascète », lui répétait-il très souvent avec un sourire en coin. « Une petite bouffe entre copains et copines te ferait le plus grand bien du côté couleur », complétait-il dans le même temps frisant l’ingérence. Une grimace suivit de colère se peignait sur les traits d’un Vic toujours en visite chez Morphée. Il était presque près de bondir à la gorge de Bill.
En fait, ces idées-là correspondaient précisément à tout ce qu’avait Vic en horreur. Cela, rendait ce beau taciturne, inquiet et mal à l’aise.
Installé à dix mètres à peine de la mer, le léger ressac et son humeur irascible le réveillèrent.
Le réel était là. La crique à l’entour rendaient l’endroit idyllique. Les arbres n’étaient pas nombreux mais, donnaient par leur rareté une couleur tranchée à ce cadre paré de bleu vif. Le café turc ne fumait plus dans le petit verre devant lui préparé avant son sommeil.
Le regard vide, fixé sur la mer sans la voir, il lança sa vision intérieure travailler. Rêvasser et rechercher les idées au plus profond de lui-même.
Ses yeux photographiaient instinctivement le paysage dans sa rétine. Bien plus tard, il le savait, il n’aurait eu aucun mal à décrire avec précision le charme de l’horizon sans l’appareil numérique qu’il réservait à la ‘gent turista’.
Pour lui, le concret n’avait rien de vrai dans l’immédiat. Il ne le passionnait pas. Le virtuel était son terrain privilégié.
C’est alors qu’un déclic, qu’une idée géniale jaillit de son passé profond.
Étudiant, il y a près de 20 ans déjà, il avait écrit un programme en avance sur son temps qui permettait d’augmenter considérablement les chances de gagner en Bourse.
Son utilisation lui avait même permis d’arrondir substantiellement son maigre budget que lui concédait son père assez chiche avec lui. Une bourse apportait, chaque année, trop peu d’oxygène nécessaire. Il terminait toujours ces années avec distinction. Un investissement sur un futur très rentable, après coup, investissement sans reproche.
Vic, cartésien jusqu’au bout des ongles, avait brillé dans toutes les matières qualifiées de sciences exactes. Il le savait sans ostentation.
Les souvenirs lui revinrent par touches colorées de péripéties réussies ou ratées.
- Comment s’appelait-il encore ce fameux programme? », se demandait-il mentalement.
Le mot « martingale » lui vint tout de suite comme le mieux adapté au mode de pensée « Vic », jeune adolescent.
Fébrile, il se plongea immédiatement sur son PC et orienta ses recherches par les voies nominatives et datées.
Le programme de recherche ne mit pas très longtemps à le trouver.
- Mais, c’est bien sûr ! », s’exclama-t-il presque tout haut « martagal.bas » un fichier en langage basic. Huit caractères maxima pour les noms de fichiers.
Il fallait maintenant se rappeler des fonctionnalités et des techniques.
Cela ne devrait pas me prendre trop de temps, pensait-il confiant.
Deux heures, plus tard, il en avait fait presque le tour. Quelques notes prises au passage, quelques bribes d’instructions, un organigramme et le tour était joué. Il en avait même évalué les faiblesses et les mises à jour qu’il fallait y apporter pour le remettre en piste. Le fond, la finalité et l’efficacité démoniaque étaient pourtant présents et intacts.
En gros, le look ne correspondait plus aux goûts du jour, comme seule obsolescence. Relooké, le programme aurait été bon car l’algorithme tenait toujours la route.
Les performances boursières devaient clairement être au bout du chemin. Un projet naissait déjà dans son esprit. Ce qu’il allait en faire se clarifiait plus il y réfléchissait.
Tout à coup, un réveil cinglant le ramena à des considérations plus terre à terre. La faim, insidieuse avait miné son corps trop penché vers les choses de l’esprit.
Un dernier ouzo bien frappé pour temporiser cette faim calamiteuse fut sa dernière tentative. Les cogitations primordiales devaient trouver un intermède et Vic connaissait le moyen de le réaliser avec les meilleures chances de succès. Dans son agenda, en place de choix, il y avait un numéro de téléphone du plus grand restaurant de l’île.
Dès la deuxième sonnerie du téléphone, une voix doucereuse retentit à l’autre bout à cheval dans un mélange d’anglais et de maltais. Le nom de référence qu’il donna eut la force de tous les sésames de la terre. Changeant alternativement de langue, partagé entre confusion et obséquiosité, cela prenait des accords de nouvelle langue tout à fait amusante.
Malgré sa présence rare sur l’île, son nom restait gravé dans le souvenir dans la mémoire des commerçants avisés.
Quand le taxi arriva, la nuit noire avait déjà envahi le ciel.
Le hasard fit que le taximan n’était pas inconnu non plus. Les bons pourboires avaient aussi donné, comme il se doit, une mémoire éternelle à son récepteur. Comme l’anglais n’avait pas eu l’heur de pénétrer ses neurones de grecs d’un temps jadis, le chauffeur eut une conversation limitée pour l’essentiel à des courbettes, des sourires d’une largeur sans pareil. Cela faisait sourire d’aise, Vic.
Le restaurant apparu dans le pare brise de la voiture. Un garde chiourme s’affairait autour de la Cadillac qui précédait. Le taxi de Vic s’avança lentement et à la vue de l’occupant, une réception « cinq étoiles » s’empara de sa personne. Le pourboire au taxi-man permit d’apposer une nouvelle couche indélébile aux souvenirs.
Un garçon tout de blanc vêtu à l’accent parfaitement british lui fut assigné pour le reste de la soirée par le maître d’hôtel. La grandeur de la carte n’avait d’égal que celle des montants qui suivaient une description à rallonge des plats servis. Un trio jouait dans un coin des notes internationales ou mêlées d’accent de bouzoukis pour meubler les oreilles les plus exigeantes de sons enchanteurs.
Le sommelier avait un faible pour les connaisseurs.
« Doctor Vic Vanderbist », comme il l’appelait pompeusement, amusait notre héro. Le sommelier jouissait avec son hôte en prodiguant les meilleurs conseils à son illustre œnologue.
La nourriture était somptueuse. Le repas dura bien plus que deux heures. Pas besoin d’ajouter qu’il fut à la hauteur de l’espérance des hôtes.
Le « Grand Veneur » savait reconnaître ses hôtes de marque.
Quand de petits extra en monnaie sonnante et trébuchante existèrent la note, les déférences n’eurent pas de pareil. Le « merci » était servi en toutes les langues connues.
Ce week-end d’exception, Vic perdait complètement toute obligation d’économie.
Il aimait l’île et l’île le lui rendait bien. Peu importait la dépense. Cela ne faisait pas partie des préoccupations du pouvoir des idées.
L’autre vie reprendrait bien assez tôt dès que la parenthèse serait refermée. Une minute, il voulait seulement la prolonger à l’extrême.
Il ne reviendrait pas les mains vides. Son nouveau projet remontait progressivement dans l’échelle des valeurs au niveau des grandes priorités.
L’ambition et réussir, Vic en avait fait sa religion.
Dieu, c’était lui. Pas besoin de tierce personne pour cela.
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« Tendre vers l’achevé, c’est revenir à son point de départ. » Colette
Ce n’est que dans la journée de lundi qu’il rentra chez lui.
Cette journée du lundi, il l’avait prise en jour de congé. Son nouveau projet valait bien le déplacement.
L’avion avait posé ses roues sur le tarmac tout à fait dans les temps.
Son rendez-vous virtuel hebdomadaire avec ses « victimes » était prévu pour 15 heures. Son plan de bataille et la répartition des tâches dans la poche, il savait que l’information qu’il en tirerait, prendrait bien deux heures.
Tout devait être très détaillé du début à la fin. L’annexe projetée devait être parfaitement réalisable techniquement. Il le savait.
A 17:30, il recommençait sa pèche aux hameçonnés de tous les horizons.
Il acheva le dépouillement vers 18:00 et il ne fut pas déçu.
Il y avait un « peu de tout » dans la toile. Des araignées piégées ou déjà croquées, des prédateurs qui se retrouvaient dans les rets du super prédateur. Certains avaient tenté de détourner les attaques subies à leurs propres avantages. Sans y parvenir, bien entendu.
Pour ceux-là, Vic était devenu l’inconnu célèbre. Des louanges angéliques succédaient aux poisons et aux pièges. Le fichier polymorphe et espion avait été décrypté. Le log des opérations rassemblées donnait des graphiques édifiants en synopsis. Bien explicites, que ces graphiques ! La tache d’huile brûlante du piratage s’étendait mais était découverte.
La conclusion était simple: il fallait prendre encore plus de précautions. Temporiser sur certains plans et attaquer sur d’autres avec encore plus de doigté. Le risque excitait Vic, mais il n’abusait jamais de sa dose d’adrénaline. La santé mentale et financière en dépendait.
Les frontières des états avaient été allègrement outrepassées. Son action diabolique était devenue à 70% internationale.
Pour changer de crémerie, il entreprit immédiatement de traduire la partie documentation de son nouveau projet. Les textes d’aide et de manipulations de son programme de jeunesse prirent un peu plus de temps à ce polyglotte qu’était Vic de longue date.
A la base en français, une traduction en anglais s’imposait. Une partie important de la nuit y passa. Une correspondance dans la langue de Shakespeare et son adresse référencée dans un catalogue de langues potentielles.
La mise en forme type 21ème siècle était désormais assignée à Grégory, son nouvel employé, originaire de Roumanie, dont il ne reconnaissait que la seule pellicule de compétence théorique.
Attendre et rassembler les pièces du puzzle et commencer la promotion dans monde de l’informatique avide de sensations fortes.
Une pub par ricochet mais pas en première ligne. Mieux valait prendre un profil bas pour le reste. Tout va tellement vite dans ce réseau en étoile et les événements allaient se superposer, tout seul, sans pousser sur le champignon.
Dans le grand jeu virtuel du chat et de la souris, il n’y avait pas place pour les débutants. Le scénario était toujours le même: le plus gros chat allait happé tous les plus petits dans une série sans fin.
Il ne pouvait en être autrement. Le chat avait trop bien travaillé et trop investi dans son projet initial.
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(14): Le calme policé avant la tempête
« Calme et sérénité sont les valeurs de la dignité. Rien ne se valorise dans l’excitation et la débauche. » Paul Melki
Après sa découverte, Patrick aurait pu espérer garder l’élan retrouvé de son ordinateur, d’il y a quelques semaines à peine. Son utilisation rendait celui-ci, insidieusement toujours plus lent. Les raisons de cette lenteur devaient être ailleurs.
Psychologiquement, il était sûr d’avoir démasqué l’espion perturbateur. Sa fierté supportée par la découverte du virus, ne pouvait subir le partage de l’adversité.
Pour un temps, il avait repris son travail avec entrain et sérieux oubliant son anxiété.
Brûler les étapes à problème au plus vite. La bonne humeur fut de courte durée.
Sa machine peinait manifestement de plus en plus pour retrouver sa vitesse de croisière.
La cavalerie des Mips cachait toujours un plaisantin qui poussait en même temps sur l’accélérateur et le frein, agitant le processeur entre désinvolture et gourmandise.
De guerre lasse, sa mauvaise humeur éclata d’un coup.
Chercher les malversations d’Internet, les failles du système, était de son domaine jusqu’à un certain point seulement.
Etre envahi et voir casser son propre rythme, était moins passionnant.
Certaines entreprises avait cette prérogative comme raison d’être. Celles-ci restaient bizarrement muettes jusqu’ici. Désarmé, il commençait vraiment à ne plus accepter ce manque d’agilité et de ferveur.
Ce qui l’inquiétait plus encore, c’était l’inconnu, la réelle finalité cachée de cette espionite.
Le plus souvent, ce genre de maladie se limitait à de simples limitations d’efficacité. Était-ce le cas?
La semaine suivante s’écoula dans le doute et il faut bien le dire. La rage contre les fournisseurs d’antivirus endormis, ne faisait que s’accroître. Et, il avait renoncé à poursuivre l’intrus lui-même.
Les ponts du 15 août avaient provoqué un ralentissement des activités pour tous. Les esprits étaient ailleurs. Les fournisseurs d’antivirus travaillaient aussi au ralenti.
A effectifs réduits, les experts se retrouvaient sous des cieux plus cléments. Cela ajoutait une touche de plus au manque de motivations.
Virus de tous poils et autres « gâteries » du genre pouvaient bien attendre une semaine de plus.
Patrick, de ce fait, avait mis sa gène en sourdine, contraint et forcé. Il essayait de ne plus en parler pour ne pas accroître l’impression de raté qu’il pouvait donner de lui-même.
On s’habitue vite à la lenteur tout comme au progrès d’ailleurs.
Aucune catastrophe plus virulente encore ne semblait, heureusement, pas vouloir se produire.
En attendant, match nul, partie remise et suite à la prochaine surprise du Robin de la Toile, se disait-il peu réconforté tout de même.
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« Le bonheur c’est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles. » Gandhi
Vic avait décidément bien choisi son comparse. Le développement était son violon d’Ingres et il se révéla hors pair et digne de toutes les félicitations. Ils aimaient tous deux les communications. Le courant passait.
Les contacts avec lui avaient été nombreux et fructueux. Des prototypes laissaient entrevoir le produit fini avec un look d’enfer très prometteur.
Comme il est à constater presque toujours, l’informaticien vrai par vocation ne réagit jamais comme le commun des employés. A l’opposé de ceux-ci, les fonctions vitales comme manger ou boire, dormir ou se divertir et s’entourer d’amis ne font pas parties des préoccupations de base et ne demandaient, de ce fait, aucun raffinement. Plus enclins à s’étourdir dans la technicité. Véritable interface entre machine et humain et dans cet ordre, en tant qu’informaticiens, ils bossaient souvent sans s’apercevoir que le soleil avait été remplacé par un clair de lune dans la voûte céleste.
Pragmatique et dichotomique d’esprit, Vic aimait cet esprit chez les autres aussi bien que pour lui-même. Il l’avait reconnu la trempe de Gregory. Il aurait eu du mal en suivant ce principe de ne pas lui laisser les coudées franches. Le courant passait entre eux manifestement.
De l’imagination, son acolyte en avait à revendre. Sa jeunesse n’avait pas retardé son potentiel. Ses idées originales en imposaient à Vic et cadraient ses ambitions. En plus de son tallent de programmeur, il lui reconnaissait aussi des dons innés de graphistes.
Une véritable perle sertie à merveille dans son écrin, pensait-il.
Vic s’apprêtait à lui déléguer plus de responsabilités pour encourager son esprit d’initiative décuplant du même coup la force de frappe de l’ensemble. Quelques directives générales de départ suffisaient dans la souplesse pour se lancer dans le développement.
Une première version fut bientôt prête pour la publication. Le “bouche à oreille” par la suite devrait très vite marcher à merveille. Des mensuels d’informatique l’insérèrent dans le CD offert en freeware avec leur publication. Le « petit cadeau » devait faire le bonheur des investisseurs en mal de réussites boursières. Ce qu’ils ignoraient, c’est que pour cette étape de diffusion finale, Vic avait complété le « cadeau » par son piège concocté en cheval de Troie.
Un panel de paravents devait garder les créateurs, Vic et Greg, incognitos.
Le programme « Martagal » était en piste parallèle pour le meilleur pour l’équipe de l’insolite, des deux associés et surtout le pire pour l’utilisateur lambda.
Tout le monde était content, clients et fournisseurs.
Qu’espérer de mieux?
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(16) : Une proposition mal venue
« Même l’intelligence ne fonctionne pleinement que sous l’impulsion du désir. » Paul Claudel
Les premiers orages avaient perturbé nature et humains.
La chaleur et l’ambiance électrique qui régnaient dans les bureaux et dans les maisons, l’énervement des troupes ne permettaient plus la sérénité nécessaire à la saine créativité des services de détections des fraudes.
La chaleur n’endormait pas, elle excitait en pure perte comme l’aurait fait la mouche du coche de La Fontaine.
La climatisation avait démobilisé quelques éléments importants des équipes par les souffleries qui ne se mariaient pas avec les faiblesses nasales.
Bizarre que les plus experts d’entre eux communiaient souvent avec les fragilités extrêmes.
Résultat des courses, rien n’avançait vraiment. Une semaine faisait place à une autre sans découverte fracassante. De nouvelles versions des programmes antivirus avaient été chargées automatiquement sans apporter de réels remèdes à la lenteur de l’utilisation de la machine.
Du côté ‘police’, on ne se faisait plus trop d’illusion mais on priait intimement pour que le pirate ait remis son drapeau dans la cabine d’essayage du capitaine.
Chez RobCy, ce matin-là, Vic fut pris en aparté par Gérard. Le public relation de l’équipe à la base du projet Autoscan fut tout sourire en accompagnant sa question à Vic:
- Est-ce qu’on ne se ferait pas une petite bouffe ensemble, ce midi ?
Cela n’arrivait pas souvent. En général, tous les membres de l’équipe n’étaient pas mis au courant ensemble des décisions prises pour le service. Alors pourquoi, cette aparté, cette fois? Car il s’agissait bien d’annoncer un événement. Que lui voulait-il avec ses « petits sabots »? Était-ce encore des suites du raccourcissement du projet? Une autre tuile, plus grave encore?
Ce qu’il allait lui demander allait l’énerver encore plus.
Quelques paroles mielleuses de mise en bouche ne parviendraient pas à sucrer l’ambiance de douceurs très longtemps. Au restaurant, entre entrée et plat consistant, Gérard lança son filet à la tête de Vic.
- Alors, Vic, tu en as déjà eu quelques interviews à ton actif !
- Très difficile de trouver l’oiseau rare », confirma Vic avec résignation. « La semaine dernière, je croyais vraiment avoir trouvé la perle que l’on cherchait. Il avait les qualifications. L’expérience en IA n’était évidemment pas son cheval de bataille. Avec quelques cours bien sélectionnés, on aurait pu espérer en tirer quelque chose. Malheureusement, il a trouvé un job plus proche de son domicile et notre proposition n’a pas eu d’écho chez lui. »
Pas besoin d’en dire plus, pensait Vic secrètement. Gérard l’écoutait avec attention tout en arquant un sourire en coin qui ne disait rien qui vaille à la perspicacité de Vic. Il n’avait pas tort.
- Écoute, Vic. Je viens d’avoir une discussion en coup de vent avec Bill. Il était très ennuyé visiblement de me demander de chercher une solution à notre problème de personnel. De commun accord, nous avons pensé à une alternative. Contrairement à Bob, qui a charge de famille, pourrais-tu passez quelques heures supplémentaires au bureau pour accélérer le projet « Autoscan »? Nous savons que tu es le meilleur élément de l’équipe. De plus, nous savons que cela ne pourrait pas trop te gêner. »
Le sang de Vic ne fit qu’un tour. Voilà la pire des suggestions qu’il était à mille lieux d’avoir imaginé. Que répondre? Il comprenait bien qu’il était normalement le plus habilité à donner un coup de pouce au projet. Le problème, c’est que dans son cas, cette « normalité » devenait « impossibilité » pure et dure. Ni Gérard, ni personne ne pouvait imaginer, pour lui, un angle aussi obtus à cette quadrature du cercle. Vic avait besoin de son temps libre à temps plein. Pas question de trouver une excuse valable par la révélation de son emploi du temps après les heures dans sa vie parallèle. Par contrat, il ne pouvait accepter une autre activité rémunérée. Et, même si demain, par on ne sait quel miracle, on avait trouvé la personne bien sous tous rapports pour donner l’impulsion nécessaire, elle ne pourrait se rendre efficace qu’après quelques mois, au mieux. Cela, Vic, le savait et le chagrinait au plus haut point.
Vic réfléchissait vite. Il se sentait coincé de toutes parts. S’il avait su, il se serait payé quelques jours de vacances pour ne pas devoir donner une réponse portée ensuite à son passif.
Son travail du soir, il ne pouvait l’abandonner et il s’accroissait de jour en jour. Gregory, heureusement, produisait à temps plein mais il ne pouvait lui lâcher tous les élastiques du projet dans son ensemble. Il travaillait sous le contrôle d’un contrat honnête. Les heures supplémentaires se justifient au monde extérieur mais pas dans l’obscurité de l’être.
Non, il n’y avait qu’une solution « ralentir » sa petite entreprise qui quoique rentable, ne lui permettait pas de rompre avec RobCy. La couverture était trop protectrice pour la dénigrer et la classer dans le superflu.
Après avoir repoussé avec fraîcheur cette proposition qui financièrement pourtant, rapporterait des applaudissements jubilatoires en d’autres circonstances, il accepta de guerre lasse. Il fallait très vite mettre les pendules à l’heure et attribuer des priorités mieux ajustées aux tâches de ses nuits suivantes. Le temps n’avait jamais été aussi en accord avec l’argent.
Mardi en huit, premier septembre, fut désigné comme départ à une carrière en alternance entre simple et double shift.
Aviser comme toujours ensuite au moment opportun.
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(17): La proie pour l’ombre ou l’ombre des proies
« L’illusion est une ombre qui vaut mieux que la proie. » Pierre Véron
Rentré chez lui, Vic examina tout ce qui pouvait attendre et ce qui, au contraire, devait trouver une réaction rapide. Important et urgent dans les plateaux différents de la balance du temps.
Un nouveau « lundi » et il n’allait pas être triste. Garanti sur facture.
Avec le freeware projeté à la passion du boursicoteur, Vic n’allait pas chômer. Tous les records de fréquentation avaient été battus. Les courbes passaient dans l’exponentiation. Élaguer les emails prenait de plus en plus de temps. Il fallait ralentir tout cela sous peine d’exploser.
Ensuite, prendre contact avec Grégory. Tâter le terrain et trouver des solutions ensemble.
- Salut Greg, comment va? Pas de questions ou d’idées à débattre? », fit-il au téléphone avec une secrète envie que cela soit « oui ».
Semblant ne pas avoir entendu la question, tout fier, Greg répondit:
- J’ai acheté le magazine avec le Cd qui contient notre programme « Martagal ». Pas mal, la description et les appréciations qu’ils en ont faite, non? Tout avance parfaitement. Le module me donne encore de nouvelles idées. Nous devrions nous rencontrer un de ces quatre. D’autres projets? Je serais heureux de l’étudier.
Vic s’apercevait qu’il déviait la conversation mais la réponse était dans ses cordes. Il n’en espérait pas moins. Il ne pouvait pas casser son engouement. Une rencontre, c’est ce qu’il espérait sans le dire pour trouver la ligne à définir sans risque entre superficiel et coeur du système.
Cette rencontre, il la voulait mais la craignait aussi. Le point d’équilibre entre eux deux était à rechercher. En quel endroit autre que son appartement pouvait-elle avoir lieu?
Dans un café? Pas très sérieux de le penser.
Il fallait s’y résigner son appartement personnel devait être violé, cette fois. Une véritable « première ».
Il restait à camoufler au mieux la fameuse porte qui donnait accès à son antre pour la rendre infranchissable. Ensuite, sortir le laptop pour faire illusion.
- Bonne idée, disons ce soir. Viens chez moi pour souper. Nous ferons un peu mieux connaissance. Ce n’était pas un traquenard malgré les hésitations de départ.
Vic osait l’espérer. Il suffirait d’invoquer un prétexte pour sortir du carcan des heures supplémentaires qu’il s’était vu imposé. Prétexter une fatigue naturelle ne devrait pas paraître anormal. Le stress du projet diminuait et les derniers tests étaient encourageants. Les zones du cerveau avaient été parfaitement identifiées dans leur fonctionnalité comme centre d’informations. Les impulsions dues aux maux faisaient transiter cette reconnaissance par la mémoire immédiate de l’hypothalamus. La persistance des informations passait par le cortex. L’étape de positionnement de la douleur représentait la plus grande complexité. Des palpeurs sur le corps des singes décelaient ces impulsions. Une fois identifiées, il fallait y apporter la solution adéquate. Les maux superficiels étaient les mieux reconnus. Les autres nécessitaient une recherche plus minutieuse. Beaucoup d’erreurs à corriger. Un inventaire des actions à prendre avait été dressé. Une véritable “checklist” pour ne rien oublier.
La machine reproduisait en grandeur plus importante que nature, ce corps physiologique dans sa fragilité. Le programme d’intelligence artificielle se chargeait de décider de l’action appropriée. Un remède local d’abord, une information envoyée au satellite dans les cas plus difficiles.
Les progrès du projet étaient visibles.
La veille, une visite impromptue du grand patron, d’un général de l’armée de terre et de deux hauts gradés médecins avait permis d’assurer la confiance au sommet. Les sourires étaient sur toutes les lèvres pour confirmer l’appréciation positive. Les remarques avaient été constructives. Exactement, ce que Vic acceptait d’un tel déploiement de forces du travail et de la finance. Il prenait cela comme une interruption récréative pour recharger les accus. Vic était content de ce sentiment et ne pouvait contester l’utilité d’un contrôle du sommet. La journée avait été préparée avec soin comme il se doit pour que les visiteurs en gardent le meilleur souvenir. Une démonstration du procédé prouvait que la décision et les investissements dans cette technologie nouvelle avaient été justifiés et parfaitement rentables. Vu le genre d’invités, l’aspect militaire avait été mis en avant. Pour concrétiser la situation, les singes avaient été mis alternativement dans une ambiance de confort et de stress. Le satellite avait été mis en fonction pour réagir et transmettre ses ordres de correction. La démonstration avait convaincu. Le projet continuait.
Le suivi de sa vie nocturne, c’était autre chose. Il ne l’aurait permis à personne qu’à lui-même. Le « pas vu, pas pris » qui faisait désormais partie de sa vie en demi teinte, était devenu une doctrine qui ne s’enseigne pas à l’école. Elle se construit par la seule constatation de la faiblesse humaine. La cupidité maladive des uns récupérée par l’à propos de l’autre.
L’intelligence à l’état pur et, aussi, dur.
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« Le problème du contrat est de savoir sur quoi il se fonde. », André Glucksmann
Vic rentra tôt. Chercher quelques victuailles, un rideau qui couvrirait la porte de son antre, cadre de son intimité.
Du côté boissons, il était paré. Le vin et les bouteilles chantaient bon les meilleures crus et l’excellence des sources d’approvisionnement. Les étiquettes prestigieuses en faisaient foi.
Il dressa la table ronde pour deux convives de marque avec le chic que le meilleur hôte aurait pu imaginer. Le souvenir de ses sorties de haut vol de sa jeunesse constituait encore la meilleure préparation à son savoir faire.
De trop rares moments pour faire la cuisine étaient permis dans son emploi du temps trop chargé, relié à la technique et à l’innovation.
Vic avait cependant des dons innés ou simplement transmis par son père qui aimait, le dimanche, faire la cuisine pour la famille. Un ou deux bouquins de cuisine garnissaient une étagère de la bibliothèque en souvenir de cette époque glorieuse mais ils avaient jauni et n’étaient certainement plus au goût du jour. Ils étaient, par contre, tout à fait submergés par une foule de livres, de manuels de toutes sortes qui avaient un lien quelconque avec l’informatique et de ce qui se rapprochait de près ou de loin avec les sciences parlant de l’étude du cerveau.
Vic voulait en imposer à son « employé » en une étape mémorable. Il voulait surtout concrétiser ce qu’il avait ressenti dans la personnalité de Grégory: un synchronisme de motivations, de compétence et de volonté de réaliser les objectifs sans tergiverser sur les moyens à mettre en œuvre.
La mise en scène était parfaite et la fin justifiait les moyens et pas l’inverse.
L’appartement n’avait plus été renouvelé depuis un certains temps. Vic y passait trop peu de temps utile vis-à-vis de la tâche et pour y consacrer trop de frais. Le mobilier d’époque n’avait cependant pas pris trop de rides. Le soleil n’y entrait pas. Pas de fumée de cigarette pour auréoler les plafonds. Peu de déplacements en pagaille. Pas de visites inopinées. Un petit rajeunissement seul s’imposait.
Seule une lumière tamisée, filtrée parvenait à croiser le fer avec le temps.
Une garçonnière avec en plus, une table dressée, cette fois, au milieu. Vic aurait pu croire à une rencontre d’un troisième type surnaturelle.
A 19:30, la sonnette retentit. Elle était une surprise en elle-même. Grégory était là. Évènement marquant pour l’appartement et pour l’homme des lieux qui n’avait pas vu le moindre visiteur.
L’ascenseur mena Gregory devant la porte de son employeur.
Vic en avait dégoupillé la plupart des serrures de sécurité pour ne pas perdre de temps et pour ne pas paraître maniaque ou paranoïaque.
Un sourire pour toute réponse à un manque de palabres et de questions superflues en préalables.
- Salut Greg. On n’a pas jamais assez en sécurité de nos jours », lança-t-il en suivant le regard de son visiteur. « J’ai fait installé cela quand j’ai entendu parler d’un cambriolage dans le quartier ».
Ce n’était pas vrai. S’il avait eu réellement lieu, il n’en aurait jamais été averti. Le vraisemblable suffisait toujours dans les situations les plus scabreuses et Grégory n’y pensait, visiblement, déjà plus.
Une fois entré, Grégory conserva son sourire s’entourant d’une certaine gène perceptible.
Vic se sentait aussi mal à l’aise que lui. Son rôle de présentation et de tour du propriétaire était nouveau. Pour se retrouver une bonne heure plus tard, il aurait bien pu dépenser une fortune.
Pourtant, la gène s’estompa bien vite. Grégory avait emporté son portable et il le déposa à côté de celui de Vic qui prônait temporairement ouvert sur la table de salon. L’appartement devait faire penser à un lieu du culte entièrement dédié à la maîtresse « informatique ».
Avec entrain, Grégory commença à démontrer sa part de développement. Présenter ses ambitions pour un futur bien étudié allait être réservé pour l’apothéose.
Vic le remercia. Pour faire bonne figure, l’obligea à temporiser cet engouement fougueux.
- « Nous avons tous le temps pour faire discuter nos deux bécanes en stéréo et en crescendo. Prenons l’apéro pour commencer. Ensuite, le poisson qui en a marre de nager à fonds perdus, la volaille en pagaille, le fromage qui se répand en courants et le désert sur son 31. Et surtout pas de conversation sérieuse avant le café » conclut-il avec le plus de verve possible pour huiler l’atmosphère.
La manière de Vic de présenter le menu à Grégory ne semblait pas déplaire à ce dernier.
Pour initier les ouvertures de coeur, il s’enquit auprès de son hôte, du choix de l’apéritif.
Le bar du salon ne manquait pas de choix. La discussion franche s’instaura dès l’abord. Des choses sans importance qui sont là uniquement pour planter le décor de la personnalité de son hôte.
Grégory avait 27 ans. Son expérience, il l’avait volée de ci de là avec justesse, efficacité et la fougue de la motivation.
Roumain, mais descendant d’une famille polonaise émigrée, il avait étudié à la dure. Un père très exigeant au côté d’une mère complaisante complétait un tableau de famille aux équilibres subtils. Les études de Grégory avaient toujours été faciles, considérées comme un jeu de dominos dont il connaissait toutes les ficelles et dont il trouvait les lauriers sans partage en fin d’année. L’université avait été le point d’orgue comme ingénieur en informatique. Véritable passion. De cette vision du bien fondé, du cossu de la gente sécurisée et bourgeoise, il n’en avait pas vraiment du mépris. L’envie semblait le guider. Les chemins les plus aventureux lui plaisaient. Ce qui ne voulait pas dire qu’il s’embarquerait sans avoir une foule de garde fous. Les trompes l’œil n’étaient pas son genre. Juste un peu trop de fougue impulsive.
Le repas se déroula dans la grande camaraderie. Le « tu » avait depuis longtemps effacé le « vous » de tradition.
Arrivé au café, sans qu’un feu vert ne fût donné par aucun d’eux, pour ouvrir le «bal des gens comme il faut», ils se trouvèrent côte à côte devant les PC.
- Quand tu as décidé de lancer la première version de notre programme, j’ai su que cela allait intéresser beaucoup de monde. C’était écrit. » constatait Grégory. « Quelques jours après, j’ai acheté le magazine qui contenait le freeware et je l’ai essayé.
Le visage de Vic marqua le pas, tandis que Grégory continuait.
- J’ai été très étonné de ressentir un certain ralentissement de ma machine. Mon antivirus n’avait pourtant rien détecté d’anormal.
Cette fois, Vic sentit une rougeur au visage et la transpiration suinter sur le corps entre les omoplates.
L’air innocent, Vic répondit, victime de son propre stratagème, l’air dubitatif:
- C’est bizarre, Pourquoi en serait-il ainsi? Laisse-moi examiner ton problème.
L’air le plus naturel du monde, Vic, semblant comparer les versions, s’empara du PC de Grégory et s’empressa de transférer sa propre version contenant l’antidote à son piège, antidote qui devait annihiler tous les effets nocifs présents et à venir.
Son tour de magie effectué, il simula une continuation dans sa recherche. Le forfait avait été effacé mais pas de la vue experte de Grégory. Éradiquer par le transfert d’autre chose aurait pu passer la rampe d’un observateur moins expert. Pas de Grégory.
- Non, je ne vois rien d’anormal », conclu Vic avec l’accent le plus sincère possible, sans perdre un instant le PC de l’œil.
Mais, au fait, qu’as-tu envie d’inclure dans le soft? » fit-il pour détourner l’attention sur son forfait.
- Élargissons notre horizon, veux-tu », dit Grégory de manière victorieuse et péremptoire.
Vic avait cru jouer son va-tout de passe-passe, mais ce qu’il ignorait c’est qu’il ne venait que d’apporter confirmation aux soupçons de son interlocuteur.
- Oui, élargissons. Pensons à un futur plus juteux encore. », répéta Grégory enflammé, près à lancer l’estocade.
Pris sur le fait, Vic constatait par ce langage, tinté d’un certain mystère, que son subterfuge avait été dévoilé. Ses joues ne tardèrent pas à s’empourprer sans qu’il ne puisse en atténuer les effets. Les paroles lui manquaient pour présenter le bouclier bien nécessaire. Grégory continua sur sa lancée.
- Capter les informations perso par l’intermédiaire d’un outil qui attirerait la convoitise, c’était génial. Mais, il y a mieux. », fit Greg.
Le plan de Vic était découvert avec les preuves en sus. L’élève se voulait plus efficace que le Maître. Celui-ci avait tout à coup vieilli de dix ans. Les boucliers de la sécurité qu’il avait mis en place à l’aide de temps, de patience, n’avaient pas suffi.
Voilà qu’un jeune s’était payé la tête de son maître à danser.
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« Logique : un bon outil qu’on nous vend presque toujours sans la manière de s’en servir. », Pierre Véron
Qu’est ce qu’il était venu faire dans cette galère? Qu’allait-il lui exposer comme solution pour l’élargir?, pensait Vic en cascade, lui qui s’était retranché derrière un anonymat digne du « Principe de Précaution » de l’extrême. Il ne tremblait pas mais n’en menait pas large pour le moins. Seule la rougeur des joues de Vic laissait transparaître son émotion, mais cela avait suffi pour Grégrory.
Petit à petit, pourtant, le stress du moment de la surprise s’estompa.
Grégory sentait bien qu’il avait marqué des points mais il n’avait nulle intention de s’en gratifier les bénéfices dès le départ.
Pour rassurer, toujours calme, il poursuivit de plus belle sa démonstration et son raisonnement sans laisser la moindre impression de victoire.
- J’ai pensé qu’il serait très intéressant d’utiliser nos entrées illicites dans un domaine bien plus rentable. Financièrement s’entend.
Vic resta sans voix. Abasourdi et impatient à la fois d’apprendre l’insoutenable vérité et son dénouement. Pris au piège, il n’aimait pas de ne pas mener le bal à sa manière. De nouvelles règles imposées changeaient la donne. La curiosité fut pourtant plus forte. Quand on se sent dans les filets d’un concurrent, autant connaître la largeur des mailles et regarder une dernière fois avant l’emprisonnement.
Il ne fut pas déçu. Grégory avait bien calculé son coup. La démonstration allait tenir la route. L’extension allait être réelle.
- Cher Vic, tu m’arrêteras si tu estimes que je fais fausse route ou si je m’étais complètement fourvoyé dans tes intentions », lança Grégory en préambule.
Il continua tout de go.
- Quand tu as fait appel à mes services, j’ai très vite compris que j’avais à faire à très forte partie avec toi. Même si ta position à la RobCy avait bien suffi à la plupart des employés modèles de la boîte, je pressentais que ce n’était pas le violon d’Ingres que tu grattais en silence. Je n’avais aucune preuve évidemment. Il faut le mettre à l’article de la pure intuition. Élevé par ma mère, j’ai eu un enseignement de tout premier ordre du côté « intuition ». Sans avoir subit des cours de psychologie, elle avait ce don d’ubiquité qui frisait le paranormal. Avec mon père, il valait mieux savoir où mettre les pieds dans le concret.
Grégory, fier d’avoir impressionné, marqua une pause. Pause que Vic occupa en remplissant les verres. Intrigué à l’extrême par les révélations de son protégé, il était prêt si nécessaire à passer la nuit pour éclaircir ce trouble. Après s’être humidifié le gosier par une rasade de whisky, Gregory remit l’aiguille de son pick-up secret dans le microsillon de ses informations là où il l’avait laissé.
- J’ai tout de suite senti que nous étions fait du même bois, avec un simple décalage en années pour nous différencier. J’ai toujours eu beaucoup de projets en tête. Je les étudie et les archive pour un futur encore plus « stabilisé » du côté ”potentiel” et surtout plus assuré. Parfois, en fonction de nouvelles donnes, je les ressors et les réactualise. Quand j’ai découvert que quelque chose clochait dans ton emploi du temps en contradiction avec ton goût pour l’argent. Je l’avais décelé mais je n’aurais jamais cassé le filtre qui existait entre nous sans avoir eu la preuve de ma suspicion.
- Tu me fais languir, Gregory », interrompit Vic. « Qu’est-ce qui te fait dire que je suis un dissimulateur. Quelle faille as-tu découvert? »
- Dissimulateur, je ne dis pas. Fin limier de la faiblesse humaine, tu l’es très certainement. Le développement du programme que tu te disposais à diffuser parmi tous ceux qui en exprimait le désir m’a donné la puce à l’oreille. Le rôle d’altruiste ne t’allait pas du tout. Je me suis mis à suivre ton projet avec le plus d’intérêt, mais avec une envie, un pari personnel de découvrir ton secret. Rien ne présageait de la présence d’une astuce. Le logiciel de Bourse était génial. Je l’ai seulement un peu mieux “décoré”. Quand la publication de l’article avec le CD attaché, comprenant ta “merveille”, est parue, je l’ai acheté et je l’ai essayé aussitôt. Pas de lézard, en apparence. En apparence, seulement. Tu vois de quoi je veux parler, j’en suis sûr. Je ne connaissais pas le fin mot. Je soupçonnais seulement que le catalyseur de tes projets venait d’ailleurs. Il devait y avoir un piège là dessous. Je t’ai demandé d’avoir un rendez-vous et me voici avec mon bagage et mes certitudes. Le CD et le programme “Martagal”, je l’admets, contiennent vraiment le virus le plus sournois destiné à manger le processeur de son hôte et, probablement, de bien autre chose dont tu vas me révéler l’efficacité. Réduire le PC à une machine à laver, fallait le faire. Aussi, je suis très intéressé d’y ajouter ma touche personnelle.»
“yes”, grommela Vic, entre ses dents, le souffle coupé.
- Tu es une clé sur porte de la finesse et de l’ambition structurée, Grégory. "Tu te caches bien, mon lapin”, pensa-t-il avec un sourire mi figue mi raisin. Heureusement, je parviens à lire aussi les instincts même quand la boule de cristal est pleine de brouillard, conclut-il en silence.
Il était découvert. Il fallait que cela arrive. Résister aurait été ridicule.
Alors, il ne put s’empêcher d’applaudir à la suite de cet exposé. Il n’ignorait pas qu’en exprimant ses félicitations, il se dévoilait complètement devant son élève tellement doué. Pieds et poings liés, Grégory aurait pu le renvoyer devant ses juges et derrière les barreaux. Ceux-ci n’auraient rien de virtuels, eux. Mais, il ne l’avait pas fait. Son but était ailleurs. C’était déjà un point positif pour l’avenir.
- Bravo, quelle perspicacité ! Tu ne connais pas tout, mais je peux envoyer des fleurs à ta chère mère. Elle a fait de toi un atout majeur dans le domaine des ‘briseurs de cerveaux’. Je sens que la suite va être très intéressante. Si on marquait une pause avant de pousser dans les extensions ?
L’alcool a toujours des effets miraculeux de compensation au stress. Abuser était peut-être risqué. Mais, cette fois, quand il s’agissait de pacifier et de communiquer des secrets, rien ne lui rendrait plus d’équilibre qu’une rasade de la bouteille sur la table.
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« Huit forces soutiennent la Création : Le mouvement et l’immobilité La solidification et la fluidité L’extension et la contraction L’unification et la division. », Morihei Ueshiba
La bouteille aida, en effet, dans le rôle de briseur de secrets mal contenus.
Quelques petits gâteaux sucrèrent aussi un peu plus une atmosphère tendue mais qui, progressivement, se relâchait entre Vic et Gregory dans une complicité nouvelle.
Chacun avait ressenti qu’il manquait des pièces du puzzle dans chaque camp du grand mécano.
L’oeuvre maîtresse se jouait à présent. Les raccords, il fallait en avoir le coeur net, n’étaient plus qu’une question de forme mais pas de fond. Vic mettrait une part de ses secrets sur la table par après. Nous avions la nuit pour cela.
Le monologue repris dans la voix fébrile et assurée de Grégory, trop heureux d’apporter sa propre pierre à l’édifice.
- Je ne sais si tu t’es vraiment intéressé à la Bourse au point ou je l’ai été. Très jeune, j’ai fait partie d’une agence de courtage. On brassait des milliards tous les jours. On achetait, on vendait sur appel téléphonique. Le courtage pris au passage était notre source de revenu. Je me souviens pour l’anecdote que j’avais été tellement étonné de voir autant de téléphones sur une table ronde que je me suis mis à douter de l’efficacité et penser aux risques de cette folle course à l’argent. Quand tous les téléphones sonnent en même temps, le client, qui suivait, devait trépigner d’impatience. Les investisseurs devaient agir vite. Trop vite. On agit sur impulsion, jamais sur un raisonnement de longue haleine. Les transactions n’attendent pas un hypothétique téléphone qui se réveille. La rentabilité est affaire de vitesse. Le malheur, c’est qu’il était naturel qu’à certains moments de la journée, beaucoup d’affaires se perdaient dans la bousculade des appels trop concentrés. Le petit porteur captait autant l’attention que celui qui se présente comme « Rockefeller ». Etudiant, j’avais mission d’informatiser les transactions. Je n’étais pas payé. Nous étions encore au début des télécommunications comme nous le connaissons aujourd’hui avec Internet. Tout à évolué depuis. Les opérations de Bourse transitent de manière virtuelle et les boursicoteurs investissent eux-mêmes sans interruption dans le cale de leur sofa. Pour changer cette manière de travailler, les ordres ont dû être sécurisés davantage. Une mise globale était demandée d’entrée de jeu sur compte en banque qui permettait d’engager des luttes de casino avec l’ordinateur. Les actions et les titres vont et viennent de main en main. Même dans la même journée. Mais les « mains » sont virtuelles, cette fois. On ne sait plus qui détient quoi. On ne cherche même plus à savoir ce qui se cache derrière les actions et qui en détient. Dans ce jeu qui tourne parfois au « massacre », plus ou moins contrôlé, il y a évidemment, à chaque opération, une dîme versée automatiquement au site internet qui prête son espace virtuel par le généreux donateur investisseur. Le courtage reste la pierre angulaire du système pour l’intermédiaire. Alors, question: quel pourcentage de ces dépôts en compte, crois-tu, voyage et sort de ces comptes pour effectuer les transactions de ces boursicoteurs en herbe?
Vic, encore sous le charme de l’exposé, surpris par la question, n’en avait aucune idée. En soulevant les épaules, il répondit sans réfléchir:
- 50%, je suppose, mais je n’en aucune idée.
- Et bien non, loin de là. J’ai découvert que seulement 15% de ces fonds changeaient de main en moyenne chaque année. Le reste dort gentiment à l’abri du regard. Argent de toutes les couleurs, blanc ou noir, et de toutes origines, douteuses ou créées à la force du poignet. On attend de faire l’affaire du siècle. On oublie de la faire car les petits porteurs sont souvent trop occupés ailleurs. Alors, on boucle sur l’attente patiente. Les courtiers le savent bien d’ailleurs. L’intérêt accordé pendant cette période de sommeil plus ou moins prolongée est très souvent inférieur à ce que le boursicoteur pourrait obtenir sur le marché officiel. Rien que cette différence permet à nos courtiers de se payer quelques émoluments bien placés, eux. Le boursicoteur lambda joue parfois gros, porté par l’adrénaline sous-jacente aux risques. Sans intuition véritable ni de compétence, il se « ballade » dans un étau de roulette russe. Alors, seulement, on rêve et on s’imagine devenir tout à coup riche. Le site courtier s’approprie l’argent des clients et touchent avant, après et pendant leurs transactions par la seule garde des comptes. Pas de lézard. C’est parfaitement exempt de toutes magouilles. Ce genre d’information m’a souvent donné des idées, mais je n’avais pas découvert les clés de l’utilisation intermédiaires de ces fonds à mon profit. Le sésame, c’est probablement toi qui vas me l’apporter. Tu es dans la place en parallèle par ton freeware. Il est presque certain qu’il va être utilisé par les boursicoteurs moins frileux sous le chapeau d’Internet. Ta martingale donne des atouts majeurs à celui qui sait s’en servir. Donc, si l’on parvient à donner des ordres de vente ou d’achat à un tarif préférentiel pour nous, en empruntant l’argent de la caisse, et qu’ensuite, on réintègre la caisse après le prélèvement du bénéfice, les véritables possesseurs de fonds n’y verront aucun changement sur leur compte… Tu vois où je veux en venir?
Grégory n’attendit pas la réponse de Vic et poursuivit avec la même envie d’étonner.
- J’ai gardé des listes avec leur degré de fréquentation de clients de l’époque. Leurs IP et tous leurs renseignements patiemment rassemblés. Il y aurait bien 30% de ceux-ci toujours actifs. Enfin, « actif » dans les mêmes marges que nous venons de revoir. Voilà, ce que j’ai à te proposer. Tu t’arranges pour me donner des entrées sur les ordinateurs et je fais fructifier artificiellement le pot commun avec « martagal ». Je connais pas mal de ficelles de métier. Avec ton aide, je me fais fort de faire dévier quelques millions au passage sans éveiller beaucoup de soupçons. Éveiller les capitaux endormis uniquement bien entendu. Le seul objectif, faire fructifier l’argent que d’autres oublie de faire. Cela devrait se réaliser dans l’espace d’un mois car un rapport d’activités est envoyé aux intéressés en fin de période. Il y aura du déchet. Ce sont les risques calculés pour nous au plus juste et ce sera dommage pour quelques malchanceux qui auront accusé une perte involontaire. Si nous pouvions être prêt pour décembre, ce serait bien synchro. Le période ferait le plein. De plus pour ne pas perturber les opérations pendant cette période, les programmes sont gelés et aucun ne reçoit de modifications. Donc, pas question de corriger des erreurs sans l’approbation de grands pontes quand il en reste. Moins d’activité pendant la trêve des confiseurs pour les acteurs mais pas pour les transactions de fin d’année. Les entreprises de courtage pourraient même nous remercier pour avoir fait grimper leur chiffre d’affaire et les cours de certaines actions.
Il avait le sourire aux lèvres en terminant sa phrase, le souffle un peu plus court qu’au départ de sa tirade.
Vic avait évidemment tout compris. La construction de cette pièce montée nécessitait une réorientation temporaire des efforts à consentir. Mais pas insurmontables. Les efforts bien encadrés de ces idées méritaient toute l’attention et valaient financièrement la chandelle. Et puis, on restait dans ses buts intimes.
Si tout se passait sans surprises, ce laps de temps calculé par Grégory paraissait tout à fait réalisable dans une échelle de temps pour spécialistes dont il se sentait faire partie à juste titre. Il était d’accord pour l’ensemble du plan et déjà, celui-ci prenait forme en écho entre cerveaux de génies.
Vic avait trouvé un successeur et cela le remplissait de joie et d’admiration. Un nouveau Grand Maître du virtuel, pensa-t-il.
Il n’en dira pas plus cependant pour ne pas trop excité un instant qui était déjà arrivé à un paroxysme dans des songes de grandeur exponentielle.
Une amitié solide semblait se dessiner.
La virtualité dans l’ombre solitaire n’aura pas le dernier mot. C’est la seule différence.
La puissance au carré semblait bien se poser sur ces deux piliers parfaitement stables, compétence et motivation.
C’était à Vic d’ajouter un peu de “sa couleur locale”.
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« A vivre au milieu des fantômes, on devient fantôme soi-même et le monde des démons n’est plus celui des étrangers mais le nôtre, surgi non de la nuit mais de nos entrailles. », Antoine Audouard
Le dernier lundi de novembre, Vic reçut le retour hebdomadaire habituel d’Internet. La pèche aux alouettes s’était orientée plus spécifiquement vers les candidats aux investissements chez cette grand dame: la Bourse.
Cette sélection drastique ne présentait plus que le sommet de l’iceberg du potentiel immense dans le jardin de l’Eden de la haute finance.
Cette réduction était voulue, espérée même.
Cela suffisait amplement à l’exercice de style que Grégory et Vic s’apprêtaient à jouer sur la scène de l’impalpable légèreté de l’âme boursière. Cela lui permettait de creuser un peu plus dans son nouveau “passe-temps”.
Les fonds de grenier étaient pleins chez les investisseurs qui semblaient attendre les bonnes occasions fomentées par les résultats des entreprises soutenues par des fusions entre elles. Les sociétés en place, les prêteurs sur gage, boursicoteurs ne s’attendaient pas à ce nouveau tandem de prospecteurs qu’étaient Vic et Grégory. Seul des spectateurs attentifs auraient pu attribuer un nom à tous ces faux acteurs dans le grand jeu de la haute finance.
Comme par le passé, Grégory avait vu les courtiers à l’oeuvre, il n’eut aucune peine à jouer ce rôle à plus grande échelle et avec l’argent d’autrui dont il pouvait disposer sans l’accord du prêteur lui-même. Les adresses fournies par Greg correspondaient encore pour la plupart. Percer les sécurités des comptes fut son nouveau chalenge. Il y arriva après quelques nuits d’insomnie et des essais tout azimut.
De faux clients commencèrent à acheter et à vendre sous le chapeau d’ordres falsifiés, des actions que lui, courtier virtuel avait repéré avec le plus grand soin épaulé par « Martagal ».
La nouvelle version du logiciel était vraiment géniale et démoniaque à la fois. Il devait se féliciter pour sa précocité. Sur la même journée, des ordres de vente d’une action revenaient sous forme d’achat, pour repartir aussitôt en véritable “trader”. La plus value en nombres d’actions n’arrivaient pas à rester dans le portefeuille de départ, mais c’était admis dans ce grand jeu « enfants non admis ». Quelques comptes dans des banques différentes avaient été ouverts pour les différences quantitatives au nom de Georges Vregroicy, anagramme qui imbriquait Vic et Gregory dans l’anonymat avec la boutade en supplément. Ce jeu servait à s’exercer et suivre les prémices du plan planifié pour décembre avec le feu d’artifice de fin de mois.
Ce citoyen virtuel, sorti de l’imagination, allait au cours des jours de décembre prendre beaucoup de poids dans des portefeuilles virtuels.
La dématérialisation des actions voulues par les gouvernements pour pouvoir plus facilement évaluer les fortunes prenait un caractère débridant et bien à propos. Les titres n’étaient plus dans les coffres dormants, ils étaient toujours prêts à l’emploi.
L’arithmétique prenait des allures toutes particulières. Un plus un ne faisait plus deux, mais parfois deux et demi ou trois, et quatre en fin de parcours.
"Ce désordre était corrigé par des manipulations salvatrices", pensait-il.
Vic aidait et prenait sa part du travail d’acheteur vendeur mais en plus il s’attribuait la fonction de comptable. Ce plan de haut vol nécessitait, en effet, un suivi et une balance plus qu’hebdomadaire.
Les quatre vendredis de décembre ouvraient des perspectives très encourageantes pour les comparses. Ils puisaient dans les comptes ouverts depuis par Vic et l’aide providentiel d’Internet un peu aiguillée vers des destinées très peu orthodoxes. Ils se voyaient plus souvent dans l’appartement de Vic.
Vic avait pris deux semaines de congés en fin d’année chez RobCy comme beaucoup de collègues et de compatriotes avides d’une récupération méritée. Pour se « ressourcer », comme il est d’habitude et pour s’éloigner du gentil patron et tout oublier dans le merveilleux de Noël.
Pour lui, commençait, au contraire, une période fébrile de travail acharné bien plus rentable que ces mêmes collègues dans une période de temps différente.
Le champagne pouvait déjà prendre le frais dans l’appartement de Vic. Les comptes le prouvaient sur factures. Les derniers jours de Bourse, en général bien calmes, avaient pris une allure bien différente portés par des cours en constante progression. Les résultats de la petite entreprise de Monsieur Georges Vregroicy se présentaient sous les meilleurs auspices.
En fin, comme il se doit pour un boursier en père de famille, il fallait réaliser, transformer les bénéfices de ces plus values toujours virtuelles en du plus concret. L’entreprise de récupération s’échelonna sur la dernière journée de l’année boursière. Quelques lignes d’écritures inconnues pour les généreux prêteurs mais bien réelles pour nos deux compères.
A peine 5% de malheureux se retrouveraient avec un portefeuille légèrement plus mince si la chance ne parvenait pas à redresser la barre à temps. Les autres avaient pris leur envol avant un atterrissage à la case départ avec différentiel aiguillé vers des poches virtuelles et des espèces parfaitement réelles.
Les plaintes, s’il y en avait, viendraient peut-être de ces « malchanceux », mais bien plus tard, trop tard.
Le courrier leur rappelant leurs transactions n’arriveraient qu’au plus tôt à mi-janvier. Il faut le temps pour se souhaiter la bonne année, non? Les comptes de transits auraient été vidés depuis belle lurette. Internet est l’outil de base dont l’homme n’avait décidément pas encore compris la rapidité de l’électron.
Pour Vic et Grégory, l’excitation avait été mêlée de jubilation du travail bien fait.
Chacun prend son pied comme il le peut. Alors, quand ce pied prend des allures de pieuvre…
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(22): Le meilleur dans le meilleur des mondes.
« Dieu n’est pas compatible avec les machines, la médecine scientifique et le bonheur universel. », Aldous Uxley
Pour le dernier mois de l’année, la Bourse se faisait belle aux investisseurs. Ceux-ci avaient dû ronger leur frein avec les ponts de novembre. Décembre se devait de rattraper le retard en trois semaines qui précèdent la période de Noël.
Souvent les courtiers râlaient devant cette obligation du calendrier. Suivre le marché des actions avec le manque à gagner créé par les clôtures forcées des transactions riches en courtage, c’était pas trop leur truc.
Mais, la trêve de Noël était sacrée. On espérait donc faire du chiffre de manière condensée. On priait Saint Nicolas de faire sauter les dernières hésitations des boursicoteurs. Les journaux financiers étaient tâtés, scannés horizontalement et verticalement pour sortir des dernières affaires juteuses. Les clients allaient tenter le diable en espérant ne pas virer du rêve au cauchemar. Vendre ou acheter, peu importe, surtout pas d’absentéisme pour les beaux yeux de la Grande Dame.
Cette année-là, cela se présentait bien. De gros échanges arrivaient sans aucune interventions ni sollicitations. Pas de vent d’optimisme ou de pessimisme caractériels pourtant. Le volume enflait de jour en jour, très progressivement. Des clients, souvent très paisibles, se réveillaient. Cela rassure et on applaudit. Cela en devenait même troublant que les liquidités ressortent dans un monde qui se dit en pleine pénurie. Quand les liquidités sont là, tout va, on ne se pose pas trop de questions. On laisse faire le marché. Il a toujours raison.
Nous étions le matin du 20 et Martine Ravin, analyste boursière dans la plus grande banque du pays, consultait les statistiques pour rapprocher les résultats avec ceux de la même période de l’année précédente. Visiblement, les courbes accusaient une remontée spectaculaire.
- Vais-je vanter cette situation à l’autorité supérieure?, se questionna-t-elle mentalement.
Mais cette question ne fit pas long feu dans son esprit. Pourquoi faudrait-il se plaindre? Qui écouterait? Une perte de vitesse dans les ventes aurait les honneurs d’une réplique troublée, mais, pas l’inverse. Ce qui aurait dû l’inquiéter un peu plus, c’était certains nouveaux comptes, toujours les mêmes, qui servaient de base de retranchement et qui balançaient achats et ventes.
Les habitués jouaient gros et, peut-être, un nouveau riche avait décidé de s’amuser un peu dans ce grand casino, se disait-elle presque convaincue.
Les bordereaux, eux, s’amoncelaient sur le bureau.
En fin de journée, il fallait en faire la balance des débits et des crédits. “Exceptionnel” était le mot. Une prime pourrait même couronner les efforts et les heures supplémentaires de tous les acteurs.
Elle se félicitait secrètement que l’informatique lui fournirait le récapitulatif réconciliateur en fin de mois. La nuit, encore une fois, allait être longue. Ca commençait à faire l’habitude pour les derniers rescapés en piste dans cette période pendant laquelle les entreprises vivaient sur leurs réserves personnelles.
Le compte fictif qui nous intéresse avait enregistré des écritures de crédits dont le nombre et l’importance aurait-il pu paraître plus anormal aujourd’hui que hier? Pas vraiment. Des précédents sont là pour calmer les suspicions.
La liste s’allongeait mais tout paraissait normal sans l’oeil d’un spécialiste tourné plus précisément vers le profit brut. L’intuition féminine n’allait pas encore jusque là.
Le courtage avait encore été particulièrement important cette fin d’année. Point.
On comptabilise et on pense à autre chose. Au réveillon, tout proche, par exemple.
Encore une journée RAS ou plutôt ATC, “A Tout Casser”.
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(23): La réflexion avant surprise
« Connais-toi, mais réserve-toi des surprises », Jacques Deval
Cette soirée de réveillon devait être le feu d’artifice d’une amitié qui avait à peine deux mois d’âge. Tout s’accordait entre Vic et Grégory. Le génie et la motivation commune. La recherche de la perfection dans ce qu’ils entreprenaient et une certaine cupidité. Tout cela basé, sur ce qu’il faut bien avouer, sur la bêtise du reste du monde. Souvent, Vic avait une pensée bête et méchante: « Quand tu vois la connerie humaine, tu as une idée de ce que pourrait être l’infini ».
Personne n’avait, jusqu’ici, découvert le pot aux roses. Le destin allait pourtant en dessiner d’autres voies inattendues à des fins moins cadastrées dans l’habitude.
Grégory avait un côté caché de son être. Une volonté plus jeune d’aller toujours plus vite et de brûler les étapes de manières bien moins feutrées que Vic. Pour cela, il aurait pris des risques que l’autre n’entrevoyait même pas. Le génie et la folie intégrée. Un pilote d’avion à réaction mais sans siège éjectable.
Il n’avait pas uniquement découvert le génie de Vic en s’introduisant dans sa vie. A son avis, il le jugeait comme un spéculateur en herbe jaunie. Il aimerait aller plus loin, bien plus loin. Son interprétation de l’efficacité de Vic qui l’avait poussé à appuyer sur le champignon avait été applaudie par son maître. Les résultats du changement de politique avait porté des fruits bien plus exotiques et donc les plus chers. Le Martagal, l’outil d’appât et le cheval de Troie enrobé de virus avaient été presque du gâteau pour Grégory. La cerise sur le gâteau, il voulait se l’approprier sur la construction du « Système Greg ». Chapeauté l’ensemble était son désir intime et pas nécessairement l’entente cordiale au sein d’une équipe soudée. Des envies d’extension du projet ne parvenaient plus à calmer son esprit jeune qui voulait à tout jamais repousser les affres de la précarité et de la médiocrité dans le rayon des objets perdus.
S’il ne recevait aucun mail à la place de Vic, il en avait compris les secrets et le machiavélisme. L’impression du travail bien fait l’avait impressionné pour un temps mais cette tentation d’aller toujours plus loin ne parvenait plus à calmer son esprit vif et secrètement “rapace”.
Sa première pensée fut de tâter le terrain de l’esprit de Vic. Plusieurs coup de téléphone pour sonder les idées sur l’évolution, l’avaient laisser sur sa faim. Vic resterait le patron et Grégory devait l’admette ou sortir du jeu. L’obliger, il n’y pensait même pas. Contourner le problème dans une cogitation en boucle? Non, il devait bien se rendre à l’évidence: Vic n’accepterait jamais une montée en puissance trop rapide ni de prendre plus de risque dans l’urgence.
Pourtant, effacer sa pensée “progressiste”, il n’aurait pu l’imaginer bien longtemps. Abandonner sur sa lancée serait faire preuve d’un défaitisme que le prestige de Grégory ne pouvait supporter.
Les différents chemins de la pensée, mis côte à côte, il fallait se rendre à l’évidence: il fallait éliminer Vic. De quelle façon? Des solutions de secours commencèrent à vagabonder dans son esprit écorchée. Les risques, il en connaissait un bout. Mais par quel bout le prendre? Le bon ou le mauvais?
Le sésame du système était en poche. Le futur de la technique assuré par l’expérience. Une simple étape intermédiaire pour passer à l’étape finale en feu d’artifice était seulement nécessaire de son point de vue.
Deux coqs sur un même fumier ne peuvent subsister bien longtemps quand les objectifs ne sont pas compris de la même façon. Il fallait donc un « nettoyage » idéologique.
De la sensiblerie, il n’en avait pas un stock inépuisable. Une peur de l’inconnu, du raté magistral venait bien sûr en sur-couche sans parvenir à le calmer. Elle ajoutait à son excitation. Le risque grise les esprits les mieux construits intellectuellement.
Un plan d’extermination prémédité, il y pensa. La phase « exécution » le mieux et le plus vite possible serait pour après. La dilemme ne s’arrêtait plus au « To do or not to do » mais du ”when” and “how”.
Grégory, contrairement à Vic, lisait beaucoup en dehors des notes explicatives et des articles du net. Il en avait évidemment plus de temps.
Le dernier thriller qu’il venait de terminer parlait d’un “serial killer”. Il assassinait ses victimes à coup de pic à glace. C’était sa marque de fabrique pour identifier ses crimes de manière plus fine que par la méthode. Pas question de passer par cette technique. Il n’en voulait pas d’un dénouement qui se solda par des années de prison comme dans tous les bons bouquins du genre. Pas de traces derrière lui. Surtout pas de vagues.
Trop de sang dans son bouquin. La série de meurtre, cette fois, se limiterait à l’unité, incognito. Parano ou criminel de métier, il ne voulait pas être considéré comme tel. Psychopathe, encore moins. Éliminer un gêneur et puis s’en vont. Un inventaire des possibilités vint tout naturellement.
Une arme, un objet contondant ne lui plaisait pas. Son coup devait rester « plus classe », « plus propre ».
L’empoisonnement présentait des avantages, mais comment obtenir les produits efficaces et suffisamment rapidement nécessaires? Un avantage de la formule, une possibilité de passer le crime sous la forme d’un suicide. Les contacts qu’il avait chez RobCy prouvaient que Vic était apprécié par son comportement bien stable et bien organiser. Une volonté de suicide se ressent dans l’entourage par certains indices. Donc, extrémité à ne pas rejeter d’office mais à mettre en balance avec d’autres.
L’assommer et l’étouffer ensuite dans son sommeil forcé? Cette formule avait l’avantage d’être plus ou moins rapide mais laisserait des traces physiques. Pas question de passer pour de l’auto réalisation.
Vic dans son immeuble avait toujours recherché l’anonymat et écarté les relations trop poussées. Le manque d’assurance de Vic lors de sa première visite chez lui, prouvait ce manque de relations avec l’extérieur. Son appartement restait une place forte avec accès exclusif à lui même. Les voisins ne le connaissaient pas, c’était clair. Les cancans ou les « on dit » ne fusaient pas sur son dos manque de matière de réflexion. Les odeurs de corps, qu’il fallait prendre en considération, ne transpirent qu’après plusieurs jours. Combien? Il n’en avait aucune expérience.
Cette bulle de morbidité explosa tout à coup dans son esprit et il arrêta son “analyse”. Le hasard devrait choisir à sa place. Oublier la préméditation.
Il s’en réserverait simplement le pardon pour un autre monde dans lequel l’argent et le pouvoir n’avaient plus court.
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(24): Le feu d’artifice à l’envers
« Une poule est l’artifice qu’utilise un oeuf pour produire un autre oeuf. » Umberto Eco
Le soir du réveillon arriva très vite. Trop vite.
Rien n’aurait pu dire si l’oeuvre de diminution des portefeuilles avaient joué un rôle de sape suffisant et définitif.
Les achats de Noël sont généralement une cause naturelle d’augmentation des ventes dans le commerce. Pour la Bourse, c’est en général partagé entre dépenses et envie de bonnes affaires du côté des placements.
L’effet de levier que certains acteurs en lice se produit très souvent quand une désertion est à l’ordre du jour. Il faut toujours pousser les rêves.
Comme la Bourse montait et que la presse en faisait écho, l’effet boule de neige, ensuite, prit la relève et joua à plein.
Tout à coup, après cette période d’achat effrénée, des transactions inverses plus importantes que d’habitude se présentèrent en fin de période.
Cela avait pris des allures de montagnes russes dans la phase descendante par des ventes massives. Les mises de départ reprenaient leur position comme si rien n’avait changé sans panique. Le tumulte n’a qu’un temps. Comme on dit dans le secteur: les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel.
Au milieu, il devait bien y avoir eu des prises de bénéfices. Naturel. L’augmentation des transactions n’avaient pas été perdues pour tout le monde. Le marché des producteurs de PC et de matériel informatique avait eu aussi son lot de ventes actives si pas « radio actives ».
Les ventes de matériel informatique avaient littéralement explosé. Remplacer les parcs de vieilles machines tournait à l’hérésie. Vic se demandait s’il en était la source. Des ruptures de stock avaient seul limité la fièvre acheteuse. Quand le punch de l’ordinateur n’y est plus, combien d’utilisateurs pensent rationnellement et recherchent la véritable raison du problème? Et puis, c’est Noël. Une période où l’on oublie tout.
Des constructeurs de chips avaient décidé, bien à propos, de lancer leurs nouvelles puces trois mois plus tôt que les plans initiaux.
Un renouveau associé à un engouement artificiel et temporaire.
Les ordinateurs des sociétés se montèrent aussi plus gourmands que d’habitude pour aboutir dans leurs opérations comptables de fin d’année. L’année avait été bonne. Pourquoi résister à une vague de renouveau?
Pour les entreprises, le retard dans la sortie des chiffres, rapport de toute une année fiscale, touchait probablement dans le domaine de l’insoutenable. Les budgets informatiques avaient été maintenus artificiellement. Alors, il fallait cette fois ouvrir les cordons de la bourse pour expliquer les bons ou les mauvais résultats. Les conseils d’administrations en étaient convaincus. Quand on doit aimer, on ne compte plus, là, non plus.
Cela mena à une pénurie de composants. Le reste ne devait suivre que bien plus tard.
En arrière plan, tout y était pour sortir nos deux compères de la précarité pour longtemps. Au compteur, on pouvait s’étonner du résultat mais il était bien là: cela tournait autour de 15 millions d’euros. Net d’impôts, évidemment. Pas de délits d’initier. Seulement, un forcing de transactions, plus ou moins transparent.
Vic et Grégory restaient conscients que les événements qui allaient suivre ne se répèteraient pas. Être à la source et au moulin avec une technique trouble dans un environnement boursier ne fonctionne que pendant un laps de temps court.
Le fric n’a jamais eu d’odeur et quand, en plus, il restait dans le virtuel, il fallait le garer, en user avec charme et délectation, tout en reconnaissant les limites de la sécurité.
Eux, ils avaient investi dans leur temps et les autres dans leur portefeuille par des placements dont ils ne verraient que la couleur bien délavée plus tard.
Vic et Greg triomphaient incontestablement. Chacun d’eux devaient se mettre à l’ouvrage dans un réinvestissement de ce gain dont ils ne connaissaient pas encore l’ampleur à l’euro près. Il s’agissait bien plus que d’un parachute doré et aucune entreprise ne les avait pas virés. Ils étaient devenus non seulement « Grands Maîtres virtuels » mais aussi, grâce à ce curseur en épée de Damoclès, ils l’étaient devenus du monde du web et du monde tout court.
Vic, ce soir de réveillon, avait mis les petits plats dans les grands.
L’appartement était méconnaissable. La fameuse porte intérieure était restée ouverte. Plus de secret pour Grégory qui devait arrivé très bientôt. Des traiteurs avaient défilés et apporté des menus de plats préparés de choix. Huîtres, caviar, homards faisaient partie des plats de haut vol. Des victuailles avec les salamalecs des fournisseurs en prime ne pouvaient se balancer que pour ajuster les frais.
Le réveillon se dessinait sous les meilleurs auspices. Il devait être à la mesure de leur réussite. Mieux vaut trop que pas assez, se disait Vic. La surabondance en aval du rêve capitalisé. Sabler le champagne était devenu une obligation auquel il ne fallait pas déroger.
Entre temps, Vic avait réservé des billets d’avion pour deux en partance pour Malte et sa résidence pour le vol du week-end prochain. Il laissa les tickets bien en évidence sur le buffet.
L’avenir, ils pouvaient l’envisager avec sérénité financièrement parlant. Le risque de la découverte subsistait mais ils seraient loin et tout pouvaient encore s’ajuster dans le futur pour ce couple de l’intelligence. Le virtuel avait eu, pour eux deux, des atouts que le réel ignorait.
Inoubliable, ce réveillon? Oui, il le sera.
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« Si je suis seul, c’est parce que ça a des avantages. Tu n’attends pas pour avoir la douche… et si elle est sale, tu sais qui c’est ! », Patrick Timsit
Grégory arriva vers 21 heures. Il n’attendit pas à la porte plus d’une seconde. Vic attendait avec impatience de fêter une année à rebondissement qui couronnait la communion de deux esprits d’exception.
La porte était grande ouverte et le sourire de Vic était éclatant pour son hôte sortant de l’ascenseur. Grégory ne put répondre qu’avec un engouement et une richesse d’émotions plus réduite.
La soirée allait être bonne. Elle le devait. Vic avait tout misé pour cela. Les désirs et les réalités sont parfois aux antipodes.
En entrant, Grégory inspecta les lieux avec une attention passive à l’extérieure mais très active de l’intérieure.
Vic ne remarqua rien dans l’attitude gênée de son invité, trop heureux de fêter l’événement.
Grégory était nerveux, absent. Il était seul à savoir qu’il s’était fixé une tâche plus spéciale et moins en accord avec la fête du calendrier. Les sentiments de chacun tranchaient. Entre crainte et exubérance. Chacun sur son propre chemin de réflexions.
Fier des résultats, Vic faisait étalage avec enthousiasme des événements qui les avaient rendus riches en peu de temps, avec une joie non feinte. Les statistiques qu’il avait eu le temps de dresser, étaient là pour le prouver.
Gregory, par contre, calculait mais avec autre chose que des chiffres. Comment allait-il mettre à exécution son plan macabre? Le “moment” et le “comment” de passer à l’acte ne manquaient pas de monopoliser son esprit. Novice dans l’art de tuer, il manquait d’expérience dans le choix du moment opportun, le moins risqué, le moins gênant psychologiquement peut-être aussi.
Un coup de grâce à donner chez un ami comparse ne s’invente pas. Il se prépare mais cale toujours au moment fatidique et craque dans la conscience du novice.
- Tu vois, ton idée était géniale. Rien que chez les petits poissons, nos bénéfices dépassent allègrement les 70% de notre chiffre d’affaire. Ils ont investi et gagné de l’or sans s’en rendre compte, clamait Vic peu enclin à partager le manque de chaleur de son acolyte.
- C’est formidable et inespéré, ajoutait sans fougue et laconiquement Grégory sans commune mesure avec la situation réelle et sans pouvoir s’intégrer dans la liesse de son interlocuteur. Un véritable dialogue de sourd commença. Un esprit, manifestement ailleurs que Vic ne percevait pas.
Vic continuait de plus belle toujours avec des graphiques à l’appui.
Les yeux de Grégory, près de la perte de conscience, tombèrent, tout à coup, sur un objet qui prônait près du PC de Vic. Cet objet volumineux mais suffisamment malléable le fascina et il ne put en quitter le regard.
- Mais, tu m’écoutes?, lança Vic subitement.
La question fusa comme un coup de gong pour Grégory et le sortit de sa rêverie oiseuse.
Il ne pouvait se permettre de garder un air perdu dans ses pensées face à l’image de Vic, interrogateur. Éveiller les soupçons était le pire du scénario.
- Oui, bien sûr, mais j’imaginais déjà des extensions futures à notre coup, parvint-il à dire en bredouillant.
- Pas si vite, il faut s’assurer et savoir où les choses ont foiré. Car, dans le processus, il doit y avoir nécessairement des voies de garage à éviter dans le futur.
Confiant, Vic continua et se contenta de cette raison fictive, justificative de l’absence de son visiteur.
Le regard de Grégory retourna tout aussitôt sur l’objet qui l’attirait comme un aimant.
En douceur, comme pour se dégourdir les jambes, il s’en rapprocha insensiblement. Arrivé à mi-course entre l’objet et Vic, tout s’accéléra.
D’un geste brusque qui tranchait avec son apathie apparente, il s’en empara d’une main et de toutes ses forces, sans en avoir imaginé le poids réel, asséna un coup sur l’arrière de la tête de Vic. Le saisissement se lut dans les yeux horrifiés de celui-ci et se figea dans une expression en perdition. Sa tête s’affala sur le clavier du PC dans un bruit sourd. Il n’avait même pas eu le temps de sortir de son étonnement. Le sang gicla sur le clavier. Un bruit sourd avait emporté la vie de Vic.
Grégory, pétrifié par son acte, pendant un laps de temps, ne put faire le moindre mouvement. C’était impensable. Surpris par son audace, il pensa un court instant à secourir Vic. Étourdi, comment penser à effacer ce nouveau silence d’éternité par une vérification de la situation? Il souleva la tête inerte et s’enquit de la mort de Vic en plaçant son oreille sur la poitrine de cette vie qui avait passé. Le pouls ne donna plus de signe de palpitation. Plus de signe de vie.
C’était fait. Son plan de liquidation avait réussit.
Il glissa alors le corps sur le sol et prépara une mise en scène pour faire penser à une chute malencontreuse. Du sang sur l’objet, il en nettoya le pourtour avec soin.
Un tabouret métallique s’ajouta à la scène théâtrale. Une tête en aurait heurté le bord après avoir glissé sur le sol de tout son long. Un objet à roulette trouvé dans le placard compléterait parfaitement la mise scène.
Nettoyer le sang ailleurs qu’à l’endroit où il était sensé être tombé. Son tallent d’assassin n’était pas encore au top, mais il fallait apprendre vite. Très vite. L’odeur et la vue du sang le gênaient dans son travail et le rendaient malade. Il fallait quitter les lieux au plus vite sans rien oublier.
Copier et détruire éléments et preuves du passé récent et des autres options que celle d’un accident.
Récupérer les tickets d’avion pour Malte qui trônaient, sur la table, comme récompense de leurs efforts en commun. Il y avait bien droit à cette retraite, pensait-il. Rassembler tout l’argent qui constituait une partie du butin. Sauver les informations qui pouvaient lui servir dans la suite. Prendre le PC, le plus transportable en plus du sien. Toutes ces opérations dans un désordre sans nom. Cette partie du plan n’avait simplement pas été étudiée. Surtout, changer d’air, le plus rapidement possible.
Fermer, sans se retourner, quitter cet endroit de malheur au plus vite. Tout ne prit que quelques minutes condensées.
La porte claqua derrière lui en sortant. Il dévala les marches à grande vitesse sans attendre l’ascenseur.
Arrivé au rez-de-chaussée, une porte s’ouvrit et des voix de fête éclatèrent de l’intérieur. La concierge apparut légèrement éméchée.
- Bonne année, Monsieur, fit elle en l’apercevant.
- Oui,... et bonne santé, répondit-il en automate avant de s’échapper.
Aucune autre réflexion n’aurait pu sortir de ses lèvres devenues tout à coup trop lourdes.
..
« Celui qui croit mener une double vie ne se rend pas compte qu’il mène, en réalité, deux demi-vies. »Philippe Geluck
Arrivé à l’aéroport très tôt le lendemain matin, Grégory, épuisé, n’était pas parvenu à trouver le sommeil. Le visage ensanglanté de Vic lui restait comme un masque sur le visage. Le sommeil, il l’avait tenté sur toutes les coutures de son matelas. Sans succès. La sueur avait accentué son cauchemar.
La ville était dégagée et dormait encore.
Le taximan fut muet tout le trajet, trop content de prendre de la vitesse et de larguer son passager au plus vite. Un passager sans réels bagages encombrants et sans envie de parler: le rêve.
Le bureau d’enregistrement des billets de l’aéroport venait de s’ouvrir. Du coin de l’oeil, il épiait sans parvenir à contrôler tous les vigiles de Vigipirate qui se baladaient à l’affût d’un bagage laissé à l’abandon trop longtemps. Peu soupçonneux d’habitude, il se sentait faussement surveillé de partout. L’heure de départ approchait. Après un appel au micro concernant les voyageurs à destination de Malte, il s’engagea dans les premiers rangs d’embarquement.
- Bon voyage, Monsieur, lui lança, le sourire aux lèvres, l’hôtesse en complet bleu qui lui rendait son ticket d’avion après contrôle.
- Merci, fit-il, presque surpris, interrompu dans son scanning de l’environnement immédiat. Il reprit ses papiers et son bagage léger sans demander son reste.
Les billets de banques ne pèsent pas lourds et c’est cela qu’il transportait presque exclusivement dans une petite mallette. Le poids des PC et des sauvetages des informations captés en dernière minute avant sa fuite, par contre, ne faisaient pas le contrepoids idéal.
Presque exceptionnellement, l’avion ne prit pas de retard. Nous étions le premier janvier et les vols se passaient plus du côté des retours que des départs dirigés, eux, vers d’autres pistes.
L’avion décolla dans la brume du matin comme un bel oiseau en transhumance.
Sans secousses, aucunes. Rien n’aurait pu pourtant effacer le dernier cauchemar de la veille. L’adresse de la villa de Vic était encore dans sa poche précieusement. Le voyage se déroula dans la parfaite ignorance des nuages qui défilaient devant le hublot. Atterrir en douceur. Sortir de l’aéroport en vitesse. Récupérer un taxi en catimini. Cascade d’actions sans émotion aucune.
Le chemin pour arriver à destination n’était pas inconnu du chauffeur. Arrivé à l’embarcadère, une vedette rapide l’emporta et ils arrivèrent très vite à Gozo après une traversée courte. L’air frais du bateau rapide lui avait apporté l’air qui lui manquait dans les poumons. Il se sentait beaucoup mieux.
La maison se présentait tel que Vic l’avait décrite. Grande, bien placée, les pieds dans l’eau à l’abri d’une crique aux eaux cristallines. Le décor idyllique n’était pas usurpé. Seul le principal intéressé manquait à l’appel, sinon tout y était.
Un transat traînait sur la terrasse et il s’endormit tout aussitôt après avoir garé sa mallette au trésor, légère en poids mais moins en pouvoir d’achat. Tout doucement, l’envie de sommeil fut plus forte que l’angoisse qui stagnait et l’oppressait dans les veines.
Vers midi, il se réveilla. Le soleil commençait à faire sentir l’ardeur de ses rayons. La peau sensible de Grégory n’était pas préparée à cet afflux de radiation. Un coup de soleil rougissait son visage et ses bras. Nordiste de toujours, sa peau commençait à le faire souffrir au toucher. Un coup d’oeil dans le miroir confirmât son manque de précaution.
De la crème solaire, stockée dans l’armoire à pharmacie, lui apporta un peu de douceur dont il ne connaissait pas encore les effets réparateurs.
Le repas de la veille était loin et la collation dans l’avion ne parvenait plus à voiler une faim de plus en plus contraignante. Des biscuits garés dans une armoire trompèrent pour un temps les appels de l’estomac.
L’après-midi, il fallait ouvrir un compte, peut-être plusieurs, pour garer les billets de la mallette. Quelques achats bien placés devaient aussi meubler son temps en première urgence.
Demain, on aviserait pour le moins vital mais, non moins tentant pour un nouveau riche qui se respecte.
Le rêve après le cauchemar. N’est-ce pas ainsi que devait se terminer tout conte de fée?
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« Confiance et défiance sont également la ruine des hommes. », Hésiode
Les premiers jours de janvier, rien ne se passa à Paris. Puis, tout se précipita en cascade.
RobCy, d’abord, ne voyant pas Vic revenir trouva le temps long. Une lettre partit et resta sans réponse. Ses collègues n’avaient pas l’habitude de l’absence prolongée de Vic sans avertissement de sa part. On commençait à s’inquiéter sérieusement. Un coup de téléphone à la police fut la réaction normale. La série de réactions en tout sens commençait.
En parallèle, à la Bourse et à la lecture du rapport mensuel, certains investisseurs s’étonnaient, à leurs courtiers, de certaines transactions qu’ils déclaraient sur l’honneur ne jamais avoir réalisées. Rien ne pouvait les contredire. Des preuves avaient même été avancées. Les transactions n’étaient pas venues du néant. Des montants trop importants pour ne pas laisser de traces dans les mémoires.
Quelque chose avait foiré. Quelque chose qui n’était peut-être pas en odeur de sainteté.
La brigade anti-fraudes fut contactée très vite et un inspecteur fut délégué chez le patron de la Bourse de Paris.
La concierge de l’immeuble de Vic, si elle n’avait pas l’honneur de partager beaucoup d’idées avec ce propriétaire toujours perdu dans ses pensées, le voyait néanmoins une fois par jour. La dernière fois, elle en était sûre, remontait au réveillon. Elle ne l’avait plus vu mais entendu, trop occupée à préparer les festivités de son propre réveillon. Mais, elle avait entendu et vu, tard dans la soirée ou tôt le matin, un homme qu’elle ne connaissait pas et qui avait fêté la saint Sylvestre chez Vic.
Elle revoyait la scène de sa sortie avec un instinct photographique de concierge.
Bizarre, on ne le voyait plus, ce gentil garçon blond, peu loquace, mais qui lui plaisait par son côté “beau garçon ténébreux”.
Elle s’en inquiéta à son tour. Son amie, également concierge, lui conseilla de s’adresser à la police pour signaler un disparu, un perdu de vue.
Ce jour-là, un inspecteur, avait déjà eu vent d’une disparition inquiétante. On était sur des pistes parallèles. Pas de temps perdu dans le mélange des informations. Fusionner des affaires, c’était la panacée de la police. On aime les rapprochements. Mais, cela, c’est seulement l’expérience qui permet ce genre de confrontation de situations.
- Asseyez-vous, chère Madame, fit-il à la concierge de l’immeuble de Vic.
Donc, un de vos locataire ou propriétaire, vous a fait faux bon, parait-il? Rappelez-moi son nom.
il faisait semblant d’avoir récolté l’information qui n’était au contraire jamais apparue réellement.
- Attendez, Vic,…"Victor Vanderbist", se rappela-t-elle enfin. J’ai l’habitude de le voir tous les jours et je m’inquiète.
Elle mentait mais cela n’enlevait rien au problème.
- Avez-vous une photo? Pouvez-vous me le décrire?
- Pas de photo. Un beau garçon, bien distant, très peu sociable. Il vivait seul depuis toujours. Je crois qu’il travaille en informatique, mais je ne sais pas où exactement. Je crois qu’il s’agissait d’une affaire très secrète. Je ne connais même pas la société qui l'emploie.
- Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il a disparu? Ne s’absente-t-il jamais pendant plusieurs jours? Nous sommes en période de vacances...
- Si, mais une fois par mois au plus et l’espace d’un week-end. Il prend une petite valise et son ordinateur en bandoulière avec lui. Cela sans jamais dépasser le week-end".
- Je vous avouerai que votre histoire m’inquiète aussi. Nous venons de recevoir un appel d’une firme d’informatique qui n’a pas reçu la visite depuis plus d’une semaine d’un de ses employés. Avez-vous un double de la clé pour entrer dans son appartement?
- Non, je n’en ai jamais reçu. Même que le gérant était mécontent de ne pouvoir accéder à l’appartement en cas de sinistre.
- Ok. Nous allons faire appel à un serrurier et nous y allons tout de suite.
La journée ne faisait que commencer. L’enquête et le suspense commençaient.
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« Ce qui est macabre dans la mort, ce n’est pas la séparation du corps et de l’esprit, c’est ce qui reste. Une sombre copie inerte, impuissante, exposée à la vue de tous les curieux. », Dielle Doran
Il ne fallut pas attendre bien longtemps le serrurier. Fournisseur des services de la police, celui-ci savait par expérience qu’il ne fallait pas trop traîner les choses avec un client très pressé comme la police. Il commença par s’affairer avec un trousseau de clé dont il disposait pour étalonner les serrures. Le travail n’allait certainement pas être de la petite bière en fonction du nombre de serrures visibles. Deux des trois serrures se révélèrent étrangement plus faciles à ouvrir. En fait, les tours n’avaient pas été engagés. Seul la troisième résistait. Les goupillons pénétraient dans le sol empêchant toute effraction. Après une demi heure de travail acharné pendant lesquelles le serrurier remerciait le ciel que nous étions en janvier et non pas en période de canicule.
Un déclic sonore se fit entendre et la porte s’ouvrit. Une lampe de poche à la main, ils s’avancèrent dans la pièce. Il subsistait une certaine ambiance de fête. Des victuailles de premier choix, non consommées, traînaient en évidence en pure perte dans un état de décomposition. La fête avait dû tourner court. On avait voulu rajeunir l’ensemble, mais les visiteurs avaient du mal à trouver la réponse à la question de qui pourrait aimer vivre dans un endroit pareil. La couleur terne des murs, les meubles plus que spartiates, trop sobres poussait à s’enfuir le plus vite possible.
De plus, une odeur âcre de sang séché mêlée d’une autre que seul l’inspecteur connaissait, prit à la gorge. L’inspecteur avait quelques « bonnes » heures de vol et cette odeur ne pouvait le tromper: la mort devait roder quelque part. Il ne parvint pas à arrêter la progression de la concierge dans la pièce. Celle-ci entra et ne put s’abstenir de lâcher un cri d’effroi.
A l’intérieur, ni la concierge, ni l’inspecteur n’eurent le temps de faire une inspection des lieux, seul le corps au milieu de la place attirait les regards plus ou moins affolés en fonction du découvreur. La tête du mort baignait dans une flaque de sang. Le cri de la concierge s’étouffa avec les mains sur le visage. Dans son cerveau, il devait se bousculer quelques résidus de films à suspense à la télé. La réalité, le pur et dur, c’était autre chose. Le policier en avait vu d’autres. La mort, il l’avait rencontré de multiples fois et ne l’émouvait plus.
Réputé pour son efficacité et perspicacité, il allait devoir le prouver. Un challenge de fin de manège, cette fois, avant la retraite. La séquence d’actions que l’expérience lui avait apprise, prit forme. Quelques coups de téléphone et tout se mit en branle.
Un médecin légiste arriva très vite sur les lieux et dévoila la date de la mort qui devait se situer en ce début d’année d’après la rigidité du corps. Peut-être bien pendant le réveillon, lui-même, si l’on en croyait les révélations de la concierge.
Dispute ayant entraîné la mort? Mort accidentelle? Il fallait très vite en fixer les contours. Une craie sur le sol délimita le corps. Quelques photos et le corps fut introduit dans une enveloppe en plastic avant de disparaître. Une pièce qui jonchait le sol pouvait bien avoir été le cheval de Troie qui avait entraîné la victime dans une chute mortelle. Mais, c’est ce que l’on voulait faire croire. Certains points paraissaient pourtant étranges. Un sentiment de maquillage de la scène prenait forme dans l’esprit du policier. Ce que lui avait dit la concierge confirmait ses soupçons. Une tierce personne devait être à l’origine de l’”accident”. Les révélations de la concierge étaient spontannée. Plus il analysait la situation, plus meutre devenait de plus en plus plausible. En plus, ce “visiteur” du réveillon n’avait pas demandé son reste et s’était débinné sans laisser d’adresse. La bosse que la victime avait à l’arrière de la nuque semblait avoir été provoquée par un objet contondant plutôt qu’être des suites d’une chute.
L’avenir allait confirmer de manière irrévocable que son idée de départ était consistante. Au fond du clavier de l’ordinateur démonté, des gouttes de sang séchées, traînaient alors que le clavier avait été nettoyé soigneusement en surface. Un mort ne fait jamais cela après son passage dans l’autre monde. En fonction de cette découverte, la victime n’était manifestement pas tombée telle qu’on l’avait retrouvé.
Le crime était la seule possibilité résultante. Il fallait creuser l’idée et vite. Le temps est l’ennemi dans ces cas-là. Plus vite, on se rapproche du coeur du problème, plus grand sera le gâteau à déguster au poste lors de sa remise de médaille pour les bons services. Le temps avait déjà trop avancé.
La concierge était son seul lien avec le drame. Avec son esprit plein de souvenir allait-elle pouvoir en donner un portrait robot assez ressemblant et précis pour le diffuser avec un chance de succès? L’assassin était certainement déjà loin. Il fallait probablement appelé Interpol.
Mais, qui était-il ce passager d’un soir?
Il n’était pas un habitué des lieux. A part, la concierge, aucun autre locataire n’avait eu l’occasion de croiser un visiteur du propriétaire des lieux. Personne ne connaissait vraiment la victime. La police scientifique fut invitée à récupérer le matériel et les ordinateurs. Il était probable que des informations stockées dans les mémoires des disques expliqueraient le meurtre ou ses raisons intimes.
Les progrès de l’affaire auraient pu prendre beaucoup de temps, mais des concours de circonstance allaient accélérer le processus d’enquête.
La société RobCy fut le second raccord à l’histoire après le signalement de la disparition. Cette fois, la police allait connaître le personnage victime de ce crime odieux en chair et en os avec les souvenirs des ses collègues. Une description assez précise physiquement était essentielle. Chacun le connaissait par son côté très peu communicatif chez lui.
Sa vie privée inconnue? Une visite à cette société RobCy?
Quant au drame, quels en étaient les prémices et les motifs? Cette partie restait une énigme.
L’affaire commençait bien et mal à la fois.
Le soir, au poste, le policier reprit l’inventaire des affaires en cours pour y ajouter un complément d’information. Les procès verbaux n’étaient pas très nombreux.
La chance fut pourtant de la partie. Dès le troisième document qu’il consulta, il fut attiré par des coïncidences. Par un fluide magique, celles-ci attirèrent son attention.
Le document relatait déjà une connivence avec un autre plus ancien.
Il s’agissait d’une compilation, d’une constatation des troubles à l’utilisation des ordinateurs, établi par la police des fraudes. C’était associé à une série de plaintes à la Bourse. Aucun lien de prime abords. Mais, qui sait? Il se concentra.
Les plaintes de la Bourse concernant des malversations de transactions par des auteurs fictifs. Le policier n’était pas un spécialiste dans les problèmes financiers autour de l’environnement boursier. Cela n’empêche que l’affaire semblait avoir des liens. Une simple odeur de déjà vu.
Et, si cela cachait le mobile à sa nouvelle affaire?, finit-il par penser.
L’argent serait-il comme toujours le fauteur de troubles dans les esprits de ses clients?
Il se promit de prendre contact avec les inspecteurs qui se trouvaient en signature au bas des procès verbaux.
Si jamais, il se trouvait sur la bonne piste… Il eut des difficultés à trouver le sommeil.
Le grand classique : un meurtre au parfum d’oseille?
La routine, quoi…
..
(29) Le fil en rougit de honte
« Les morts se défendent avec moins d’aisance encore que les vivants. », Louis Scutenaire
Le lendemain, le policier de la Crime essaya de contacter son collègue de la brigade de quartier qui avait fait la déposition de la société RobCy. La réponse fut, au départ, un coup dans la vague.
- Oui, Inspecteur, je vois en effet qu’il y a eu un procès verbal, fait par mon chef, mais je suis désolé, il est en mission actuellement. J’ai essayé de le toucher sur son portable mais je n’ai reçu qu’un message de répondeur. Il ne m’a pas rappelé et je dois bien avoué que je ne connais pas beaucoup à l’affaire. », fit le brigadier qui avait cosigné le PV.
- Ok, je retéléphonerai plus tard, mais prenez mes coordonnées, l’affaire qui m’occupe, est très probablement criminelle. Tout renseignement est important. Alors, n’hésitez pas à me déranger, peu importe l’heure. », répondit le brigadier.
Retourner au rapport et contacter désormais, le suivant dans la liste. L’inspecteur de la Financière devait avoir un autre aspect de ce rapport biface sinon triface.
- C’est exact, Inspecteur, nous avons reçu des plaintes de boursicoteurs par l’intermédiaire de quelques courtiers. Il s’agirait, comme vous pouvez le lire dans mon rapport, de transactions boursières aussi bien à l’achat qu’à la vente que ne reconnaissent pas les possesseurs des comptes eux-mêmes. Ce qui est bizarre ou peut-être plus clair qu’il n’y parait pour vous, en fonction de votre enquête, c’est que les transactions n’ont rapporté aucun bénéfice ni aucune perte. Du moins, en général. Il y a des exceptions, mais elles sont rares. Comme elles sont généralement au détriment du possesseur des titres, je me suis dit qu’il devait y avoir magouille et que les bénéfices avaient été réorientés vers d’autres comptes. », s’empressa de dire le brigadier de la Financière.
- Je fais peut-être fausse route, mais l’affaire criminelle, qui m’occupe actuellement, n’a pas de mobile apparent. Mon expérience me dit qu’il y a toujours une raison, disons, le plus souvent « technique », répondit-il, un peu rassuré par ses décisions prises de poursuivre dans des voies multiples.
- Je ne vois pas tout de suite le lien avec votre affaire. Mais vous avez peut-être raison.
- L’affaire a été initiée par l’agent de quartier. La société RobCy, située près de la Défense, a été alertée par une disparition inquiétante. Nous avons été prévenu un peu par hasard.
- Nous avons seulement remonté la filière jusqu’aux comptes qui encaissaient les plus values. Le nom de l’encaisseur n’existe pas. Il a été présenté très probablement et enregistrer sur base d’une fausse carte d’identité. Donc délit financier, il y a, c’est incontestable. ».
- J’attends l’appel du chef de la Brigade pour l’instant. Son service est prévenu. Merci pour votre collaboration et tenez-moi au courant des derniers développements. », acheva l’initiateur des recherches.
- Ce sera fait. N’ayez crainte.
Le reste de l’après-midi, l’inspecteur de la « Crime » pensa se rendre sur les lieux et consulter les représentants de la firme RobCy. Quel genre de travaux faisaient-ils? RobCy représentait une société à fonds secrets, liée à l’armée. Y avait-il une affaire d’espionnage industriel la dessous?
La victime vivait seule. Les ordinateurs qui se trouvaient encore sur les lieux lors de l’entrée sur les lieux du crime prouvaient que l’occupant était pour le moins un fanatique de la “click mania”. L’équipement de tout premier ordre ferait pâlir d’envie tous les bureaux de police. Il y avait des câbles qui jonchaient le sol, ce qui pouvait laisser penser que du matériel avait disparu.
Les disques de données avaient été envoyés au service informatique qui normalement était le plus habilité à donner des conclusions sur l’internaute hobbyiste ou de profession, sinon les deux, qui pratiquait ces ordinateurs de dernière génération avec autant de fanatisme.
Le téléphone sonna.
- Ici le laboratoire informatique. C’est au sujet des données découvertes sur les ordinateurs que nous avons analysés .
- Oui, je sais. Ne me faites pas languir. Quelles sont vos conclusions?
- Bien. Ce n’est pas très concluant jusque maintenant. Nous avons affaire à un internaute paranoïaque. Tout est camouflé. Tout est crypté et protégé derrière une série de barrières, de mots de passe divers. Je ne vous aurais pas téléphoné aussitôt si vous ne m’aviez pas demandé de vous révéler les progrès de notre enquête technique même s’il n’y en avait pas. Je dois avouer que c’est un “fana” de la capote à plusieurs couches. », fit-il avec un sourire dans la voix.
- En fait, vous n’avez rien découvert? », s’enquit-il.
- Si, mais peu. Les adresses e-mail, elles, ont été plus parlantes. Il s’agit de contacts les plus divers en provenance de tous les coins de la terre. C’est à croire qu’il était une mondanité de haut niveau. Le monde entier lui a fait écho. Dialogues qui pourtant sont très tendances. Il y aurait de l’arnaque dans l’air que ça ne m’étonnerait pas. Mais, je donnerai plus de conclusions, plus tard. Je vous re-contacte dès qu’il y a du nouveau. ».
Voilà le lien avec mon affaire, se dit l’Inspecteur de la Crime, tout content. L’argent, toujours ce foutu pognon", se répéta-t-il.
Un nouveau coup de fil, à peine une heure plus tard.
- Je suis l’inspecteur de la Financière. Je vous avais parlé tout à l’heure.
- Oui, bien sûr. Racontez-moi la suite. Je suis avide d’informations, vous ne pouvez pas savoir.
- Les quelques courtiers qui nous ont mis la puce à l’oreille. Nous leur avons téléphoné. Apparemment, ce n’est pas du pipo. La fraude s’élèverait à plusieurs millions d’euros. Nous avions à faire à très forte partie. Cela ne s’est jamais passé. Ils en étaient très surpris eux-mêmes. En fait, il s’agit d’intermédiaires qui se sont invités à la table des échanges boursiers. Ils ont fait fructifier avec des achats suivis de ventes à des moments très opportuns qui font penser à une martingale, tellement, cela a marché du tonnerre. Les achats massifs de fin d’années qui se font en périodes creuses laissent des traces. Cela se termine en véritables boules de neige. Avec notre climat qui se réchauffe, le mot « neige » est à réintroduire dans notre vocabulaire. », fit-il pour donner un peu d’humour qui manquait à l’ensemble des contacts.
- Je vois. Cela confirme que nous sommes sur la bonne piste. J’attends encore des nouvelles de l’autre brigade. Cela ne devrait plus tarder et j’irai avec lui à la Société RobCy. Merci pour votre diligence dans vos contacts avec moi. ».
Il raccrocha.
Plus rien ne se passa avant le soir, vers 20 heures.
L’inspecteur de la Crime soupait avec son épouse quand le portable sonna imperceptiblement au fond de la poche de sa veste accrochée au vestiaire.
Généralement, il maugréait et n’aimait pas être interrompu pendant les repas du soir.
Cette fois, il sauta de sa chaise, effrayant du même coup son épouse peu habituée à un sursaut de la part de son inspecteur de mari, si près de la retraite.
- Inspecteur, c’est moi, le brigadier Jeanson qui ai fait le rapport de PV des collègues du préposé qui a disparu récemment. Je n’ai pas entrepris de recherche plus avant en suivant les consignes qui se veulent très précises. Ne pas entamer de recherche trop coûteuse avant un temps d’attente. Vous savez, nos effectifs ont été encore réduits de ….
- Ne vous excusez pas. Je connais le problème. », coupa-t-il.
- Que vous ont dit ces collègues prévenants?
- Pas beaucoup plus que ce qui est dans le rapport. Nous pourrions retourner, ensemble, à la société demain . Qu’en pensez-vous?
- J’allais vous le proposer. A 9 heures, je leur téléphone. J’ai leur numéro sur le PV. Je vous attends à 9:30 devant le bâtiment. Bonne soirée.
La nuit n’apporte pas toujours de conseils, elle fait rêver aussi.
L’inspecteur ne cherchait plus les souvenirs de sa journée. Il se devait de respecter un principe de sagesse: “dormir”.
Cela se faisait aussi dans la police même si les événements pourraient ne pas y faire penser.
..
(30) L’étau, cet outil de malheur, se resserre.
« Ne ronge pas ton frein, ce que tu as sur le coeur, dis-le. Tu verras qu’un secret étalé au soleil rétrécit à vue d’oeil. » Yves Thériault
Le brigadier de quartier attendait déjà devant les marches de RobCy quand l’inspecteur de la Crime arriva.
Celui-ci avait la ferme intention de s’intéresser d’un peu plus près au personnage de Victor Vanderbist.
Les fichiers étaient complètement muets sur ses états de services. Rien n’aurait pu le destiner à une mort aussi violente.
Était-ce un règlement de compte entre complices ?
Drôle de jour, celui du réveillon, puisque cela devenait de plus en plus clair que le drame s’était déroulé à ce moment, pour finir une carrière qui semblait très prometteuse. Cela ne cadrait pas.
Ils s’engagèrent sans palabres inutiles dans les locaux de la société où une hôtesse les firent patenter très peu de temps.
Le public relation était très affable. Beau parleur. Très vite pour ne faire perdre aucune minutes aux deux partis, il s’empressa de faire une description complète de l’employé modèle qu’était Vic à ses yeux.
La surprise de l’employé était totale quand le drame lui fut révélé. On ne lui connaissait aucun ennemi à Vic. Certaines personnes du genre féminin dans la société auraient probablement la larme à l’œil quand la nouvelle serait propagée.
De sa vie intime, on ne connaissait rien. Son emploi du temps en dehors, on n’en avait que des bribes distillées avec parcimonie. Peut-être aussi fausses. C’est-à-dire, rien de tangible. Certains commentaires de sa part pour éclaircir cette énigme avaient bien semblé en dé-synchronisme avec les réalités du moment. Personne n’aurait aimé le contrer trop fort sur ce plan. Vic était uniformément reconnu comme une tête en informatique et en intelligence artificielle. Pour le reste?
D’après ce que l’inspecteur avait découvert dans son appartement, cela confirmait.
Professionnellement, c’était un gars bien sous tous les rapports, productif, avec esprit d’équipe. Il avait même accepté de faire des heures supplémentaires récemment. Les administrateurs aimaient sa force de travail et son efficacité.
Rien à redire de ce côté. Employé modèle, zélé en plus, qui ne comptabilisait pas les heures supplémentaires.
Pourtant, ce qu’il y avait entre ces idées sans failles, il devait bien y avoir des points qui justifiaient cette mise à la retraite prématurée hors du commun.
L’inspecteur sentait que l’entretien perdait de son sel et que personne n’apporterait rien de plus à son enquête.
Le brigadier avait parfaitement rempli sa tâche dans son rapport.
Rien à dire de plus. Rien de plus à en tirer et ils décidèrent de quitter les lieux.
Les salutations d’usage après le rappel qu’il fallait prévenir si tout élément nouveau survenait, les serrements de main et retour chez soi.
En sortant, l’inspecteur s’apprêtait à une enquête longue et pleine de caches murailles.
En descendant les marches de la société, le portable résonna de sa petite voix nasillarde pré-enregistrée embourbée par le bruit du trafic.
- Oui, inspecteur. Vous avez donc des nouvelles au sujet de l’ensemble des recherches concernant la malversation boursière.
- Nous avons remonté la filière des achats et des ventes d’actions. Toutes les transactions se retrouvaient en définitive sur trois comptes. Les sommes étaient devenues très importantes. Alors nous nous sommes intéressés à ce qui s’est passé ensuite avec ces comptes. Là, cela n’a pas été triste du tout. Les comptes étaient tous trois au nom de Grevorcy, ou quelque chose comme cela. A peu près, au même moment, ils ont été tous vidés en même temps le 31 décembre de presque la totalité des fonds. La signature des retraits était parfaitement illisible. Un seul virement final sortait du pays. Comme vous pouvez le comprendre nous nous sommes intéressé auquel. Je vous le donne en mille. Il s’agit de Malte. Comme nos relations avec eux sont encore assez nouvelles depuis leur adhésion à la Communauté Européenne, j’ai lancé un télex dans mon plus anglais pour trouver les bons interlocuteurs. Je n’ai pas encore de retour. Ils vont certainement collaborer trop contents de faire acte de présence en Europe. Mais à quelle vitesse ? J’ai aussi téléphoné à la Commission à Bruxelles. J’ai eu une liste de nouveaux contacts là-bas. Si cela traîne, je relancerai la vapeur tout azimut.
Il avait fini sa tirade d’une traite comme s’il était essoufflé après la montée des 5 étages d’un immeuble sans ascenseur.
- Je vois. Donc, nous cernons de très près notre bonhomme. On ne connaît pas son nom, mais il a des manies très, disons, conservatrices et solidaires entres elles », fit-il en souriant fier de lui et de son commentaire.
- Je vous remercie de suivre l’affaire et de continuer à me prévenir. Je suis chargé de l’enquête.
Après avoir replié son portable, il commença à réfléchir. La clé du problème devait probablement se situer à Malte. Inconnue de l’inspecteur jusqu’au nom. Depuis peu, il en avait appris les premières bribes. Il s’agissait d’une île, mais pour la localiser en Méditerranée et donner des détails, il valait mieux parler d’autre chose.
Il fallait qu’il prenne un peu plus connaissance de cette île par l’intermédiaire d’Internet. Une telle ignorance ne s’ébruite pas trop. Ensuite, il y a Interpol à lancer dans la bataille. Cette dernière couche, police des polices nationales était parvenue à harmoniser les flux d’information inter états. Cette affaire crimino-financière place décidément beaucoup de monde au travail.
Avant cela, il fallait encore l’intervention possible des candidats aux voyages vers cette île entre le réveillon et les jours qui ont suivi. Les hommes seuls, en partance vers cette île, pourraient donner une bonne piste.
Avec une liste de ces solitaires, remonter à leur fournisseur de ticket pourrait rétrécir le champ d’investigation. Normalement, le ticket qui devrait attirer l’attention serait celui qui aurait été délivré avec un autre, non utilisé, lui.
Si en plus l’un des tickets pouvait porter un nom connu par les services, là, ce serait du gâteau.
Au bureau, il chargea son collègue pour ce qui concerne les recherches dans cette direction.
Interpol devait être averti et il s’en chargea sans attendre.
Les efforts de recherche entrepris dès les premiers jours ont toujours les meilleurs rendements de réussite.
Après la partie adverse s’est organisée et s’est agrippée avec trop de prises.
La pèche est affaire de rapidité dans des gestes et décisions précis et sans tergiversation.
Il avait trop d’expérience pour l’ignorer. Il consulta Internet tout le reste de la journée.
..
(31) Une virée, cela se prend quand cela se présente.
« Profite d'aujourd'hui que tu tiens dans ta main ; Crois le moins possible à demain. », Horace
Grégory eut bien un cauchemar cette nuit-là, mais imprécis, il ne s'en rappelait même pas dans le détail. Il pouvait s'en douter, mais il ne le voulait pas. Il voulait tourner la page le plus rapidement possible. L'horreur, c'était derrière et l'oubli fabriqué est parfois plus efficace quand le naturel revient au galop. Il fallait pourtant oublier et jouir des promesses de la vie.
Aller à Marsalforn et au besoin retourner à la capitale, La Valette, pour réaliser un rêve de grandeur loin de toute précarité dont il avait ressenti le besoin dans sa jeunesse. Où était le mal? Comment résister à l'incompressible tentation de sortir du lot et d'élargir sa destinée?
Un taxi l'avait conduit à ce village d'antan qui était devenu une petite ville en période de vacances pendant laquelle deux tiers des visiteurs venaient loger pour profiter des plages et de la Baie d'azur toute proche, véritable atoll de Pacifique à seulement deux heures de vol pour l'européen du nord.
Marsalforn était au creux d'une baie et paraissait endormie quand il y arriva. Le taxi ne reçu son ticket de liberté qu'après avoir fait le tour de la ville. Gregory avait bien préciser le but de la visite: voir les endroits des quartiers commerçants les plus chics possible. Le taxi-man avait répondu avec le plus large sourire par « Yes, Ok », il l'avait fait promener de long en large revenant parfois sur ses pas sans que Grégory n'en ressente le moindre indice. La course était plus longue, le tarif allait de pair. Tout le monde était content. Chauffeur et passager.
Au passage, une banque avait eu l'heur de plaire à Grégory pour garer la plus grosse partie de ses « jeunes » avoirs.
Pour le reste, rien ne correspondit à sa vision d'un homme riche. Aucun concessionnaire de Ferrari, Lotus, Lamborghini. La déception était à la mesure de sa volonté de grandeur. Cela sentait le bide à plein nez. Il fallait se retourner vers d'autres horizons plus centraux. La Valette devrait pouvoir le satisfaire, pensa-t-il. Ce serait pour plus tard. On avait le temps.
Des costumes de prestige, par contre, il en avait repéré un et avait noté au passage l'adresse. Janvier n'était pas froid mais nécessitait néanmoins un peu d'effets vestimentaires à ne pas négliger surtout de nuit.
Le port lui révéla des possibilités pour l'achat d'un bateau qui lui permettrait de se déplacer plus facilement dans un environnement insulaire. Il n'eut pas trop de difficulté à satisfaire cet aspect.
Après 2 heures de virages tout azimut, le restaurant dont Vic avait parlé avec emphase, fut son arrêt pour le déjeuner.
« Le Grand Veneur » méritait bien son nom. Faire comme Vic avait fait pendant tous ces mois qui ont précédés, représentait la meilleure victoire sur l'adversité.
Il était mûr pour prendre la place du maître en disciple bien formé.
Il s'attacha à prendre la place au fond de la salle comme Vic lui avait raconté. De là, il pouvait tout observé à son aise. Il n'effleura pas la moindre allusion de connivence avec son prédécesseur bien connu par les hôtes de ce lieu prestigieux.
La carte de visite, il hésitait à se la créer à force de pourboire bien distribués comme l'avait fait Vic. Probablement, d'abord plus pingre que son prédécesseur.
Mais aussi, pas besoin de créer un lien qui pourrait le desservir plus tard.
La grandeur de la carte du menu l'impressionnait autant que les déférences dont on l'entourait. Une certaine fierté se lisait dans ses yeux de nouveau riche.
Les mets prestigieux se succédèrent ainsi pendant plus de deux heures agrémentés par des vins importés des cottages les plus connus d’ici et d’ailleurs.
Rien ne pouvait l'empêcher de combler ce manque qu'il lui avait noué l'estomac depuis tant d'années. Il s'en mettrait plein quitte à péter d'indigestion.
Tous les points de la salle étaient étudiés par Grégory dans ses moindres détails. Déguster du regard ce qui avait été épié avant lui par son maître, en dégustant des mets de prestige, qu'espérer de mieux pour un disciple.
On apprend vite à se tenir bien quand la motivation devient naturelle.
Alors, la vie n'a plus que des points positifs.
Le repas princier s'acheva pour un Prince.
Quand il fut temps de partir, quelques pourboires discrets ne réchauffèrent pas complètement l'atmosphère.
Il reviendrait sur les lieux. Pas besoin d'excès, laisser un souvenir de sa personne de marque mais pas dans l'extase.
Écarter au plus vite Vic des mémoires et le remplacer à petites doses sans rapprochements douteux et dangereux.
Gravir les marches de la noblesse et de la renommée des gens qui ont de l'argent devant eux, tout en gardant un maximum de côté, comme disait Raymond Devos dans un de ses sketchs.
Le lendemain, il continuerait son chemin avec délice. Un petit tour à La Valette pour faire d'autres emplettes digne de lui. La pub « Devenez scandaleusement riche » dont il râlait souvent auparavant, il l'a voulait sienne.
Le rêve ne faisait que commencer.
Après, il faudrait assurer mais on en était loin de ce moment de sagesse.
Se presser lentement et profiter entre-temps.
..
« Bonheur : sensation de bien-être qui peut conduire à l'imprudence. Si vous nagez dans le bonheur, soyez prudent, restez là où vous avez pied. », Marc Escayrol
La journée du lendemain devait être très certainement la journée des policiers. Un des acteurs que nous venons de connaître dans le contre courant, collègue du policier en charge de l’affaire, après plusieurs coups de fil aux agences de réservations des tickets lança un joyeux et péremptoire « Bingo, je l’ai. »
Trop heureux d'avoir eu la chance de sa courte carrière, il ne prit pas beaucoup de précaution en entrant précipitamment dans le bureau de l'inspecteur chef.
- Le nom de notre gars est Patrick Dorsinitch J'ai continué l'enquête. Il s'agit d'un Roumain de 27 ans qui n'a pas vraiment de domicile bien fixe. J'ai pris la permission de prendre des contacts avec RobCy qui m'a raconté qu'il y avait bien un nom pareil dans leurs rapports d'embauche. Il avait, en fait, postulé chez eux comme candidat à une place d'informaticien. Le rapport précisait que Vic Vanderbist l'avait interviewé mais que son point faible avait été ses capacités nulles en IA.
- Bravo. Bonne initiative. Tu as gagné ta journée. C'est sûr que c'est lui. Nous approchons, nous approchons ! » répéta l'inspecteur trop content d'avoir eu le bon coup de poignet. Le poisson n'était ferré que virtuellement, mais c'était très prometteur. Place à l'hameçon qui devra entrer dans la chair. Mouliner ensuite n'était plus qu'une question de routine. Chez les humains, le nom suffit pour tirer le corps. Les poissons, eux ne s'attrapent qu'à la force du poignet. Le nom du poisson importe peu. Avertir Interpol de l'identification pour assurer la prise restait l'étape obligée et naturelle suivante. Cela fut fait sur le champ.
Deux heures sans nouvelles fracassantes quand le téléphona sonna.
- Allô, ici l'inspecteur Rambolle d'Interpol. Nous avons repéré votre gars. Il est arriver le premier jour de l'an à La Valette. On ne sait pas où il est descendu. Apparemment, ce ne devrait pas être un hôtel .
L'inspecteur en chef n'en fut pas tellement étonné pour autant. Il devait probablement y avoir une planque là-bas.
Il fallait maintenant penser à la suite et s'inquiéter de réserver une place pour un vol en partance pour cette île que l'on dit paradisiaque avec La Valette comme point de départ.
Depuis lors, il s'était parfaitement documenté sur cette destination de rêve pour touristes. Sa mémoire immédiate avait réservé un coin de neurones sur le sujet prêt à l'emploi.
Un jeu radiophonique avec des questions sur cette île, aurait fait de lui un expert de premier ordre.
Les informations d'Interpol contenait les noms de contacts de la police de La Valette.
Il fallait les contacter pour initier la procédure de recherche en ce nouveau territoire européen. Un nouveau terrain de chasse avec un goût de vacances en arrière plan. En hiver, ce ne pouvait pas être mal, non plus. Deux heures de vol suffisent pour atteindre La Valette, était-il dit.
L'inspecteur arriva vers 14 heures. Il n'avait pris avec lui que le nécessaire pour deux jours d'absence.
Une fois, la petite valise réceptionnée, il s'engagea vers la sortie mais n'eut pas le temps d'aller plus loin. Un homme en civil lui barra le chemin.
- Inspecteur Bertille de Paris ? », fit-il dans un français tout à fait honnête.
- Vous supposer bien. Je m’apprêtais à vous appeler.
- Inspecteur Matto. Enchanté. Un de vos collègues nous a averti de votre visite. Il m’a mis au courant de votre affaire. Je suis là pour vous servir de guide et d’interprète si nécessaire car le Maltais n’est certainement une langue bien connue en Europe. Pas encore venu chez nous ? » , lança-t-il le sourire aux lèvres.
- Non, c’est la première fois. Il y a peu, j’ignorais où Malte pouvait se trouver sur la carte.
Le maltais devait avoir l’habitude de ce genre de réponse et ne releva pas la remarque.
- Une voiture nous attend à la sortie de l’aéroport. Suivez-moi.
La conversation dans la voiture ne s’éloigna pas des banalités d’usage offert en automatisme aux touristes de l’île.
Le bureau de police de la Valette ne se trouvait pas bien loin de l’aéroport.
Il était par contre très loin de ce qu’un policier parisien pouvait imaginer. Celui-ci ne fit aucune remarque pour exprimer sa surprise. Il n'était pas là pour faire l'inventaire des différences.
Dans le bureau, les choses sérieuses vinrent dans la conversation sans retard. Matto commença.
- Pour résumer, vous cherchez un Français qui aurait assassiné un compatriote, informaticien et qui pourrait être impliqué dans une affaire financière, en plus.
- C’est cela. A part qu’il ne s’agit pas d’un Français, mais d’un Roumain vivant à Paris. On connaît son nom mais sans beaucoup de précision jusqu’ici. »
- Après avoir connu cet élément, nous avons commencé à rechercher votre homme en scannant les voyageurs en provenance de Paris...
- Le nom qu’on vous a communiqué, y était-il ? » interrompit le Français.
- Oui. Il était bien dans la liste du vol du 1erjanvier, mais nous n’avons pas sa destination finale. Cela ne veut pas dire que nous avons été bloqués dans nos actions. Notre police fonctionne bien à l’échelle de notre pays, bien sûr. Vous avez eu raison de nous envoyer un fax avec la photo robot de la personne qui a été assassinée. Mon collègue s'est mis en route pour vous servir et déblayer le chemin. Il paraît qu'il est parfaitement connu sur les îles maltaises. L'assassin, son nom, ne disent rien à personne. Je vais contacter immédiatement le brigadier sur l'affaire pour voir s'il y a des nouvelles.
Sur ce le Maltais s’empara de son téléphone portable qui visiblement ne datait pas des derniers perfectionnements en la matière.
Une conversation s’engagea dont le Français ne comprit pas le moindre mot. Aucun repère, aucun nom de ville qui aurait pu localiser les bribes de conversation dans le concret.
Après ces quelques minutes de paroles incompréhensibles, il s’arrêta de tourner à vide aux oreilles du Français.
- Mon inspecteur est déjà bien avancé dans notre enquête. Il parait que le Roumain n’est pas resté très longtemps à La Valette. Mais, ne vous inquiétez pas, il n’est pas aller loin. Il n’a pas quitté les îles. Il devrait être à Gozo. Une petite île près d’ici. Un bateau à moteur lui a servi pour l’y mener. Nous avons retrouvé son pilote. Celui-ci s’en souvient encore. Il a été très généreux et cela ne s’oublie pas. Marsalforn fut la destination où il a débarqué. Du visage, il ne se souvient pas vraiment. Je vous proposerais de postposer notre entretien jusque demain. Installez-vous à l’hôtel. Nous avons réservé une chambre à l’Hôtel International. Je suis sûr que vous allez aimé. Nous irons ensemble demain matin.
Sur ce, il fit signe à un brigadier. Le mot « International » parvint cette fois aux oreilles du Français. Un serrement de main, un sourire et un « A demain, 10 heure. On viendra vous chercher. Ok ? »
Le Français acquiesça et suivit le brigadier dans la petite voiture de police.
Tout se présentait mieux que prévu. Une nuit avec le confort et la piscine, cela ne se refuse pas même pour un officier de la police française.
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« Dieu pêche les âmes à la ligne, Satan les pêche au filet. » , Alexandre Dumas
Le lendemain, tout se passa comme prévu. Le même brigadier arriva à l’hôtel pour prendre en charge le policier français. La soirée avait été délicieuse pour ce dernier. On lui avait dit d'emporter un maillot et il profita de la piscine avec délice. L'hôtel méritait le nom d'"International". La nourriture n'était pas locale mais ne désorientait pas les palais délicats des gens du nord.
Déjà, dans le hall, il reconnu le brigadier maltais de la veille et le suivit sans attendre avec un vague sourire en guise de bonjour. La voiturette était au parking et démarra premier quart de tour en les emportant.
Le port n’était pas loin et l’inspecteur principal de Matto était déjà à bord de la navette. Quelques salutations de pure forme ne retardèrent pas le lancement du moteur en direction de Gozo.
La mer était aussi lisse que l’on pouvait imaginer pour un grand lagon bleu. Ce n'en était encore que les prémisses. A Gozo, il n'y aurait plus de doute possible.
La couleur de la mer était, dans la traversée, seulement plus dure, avec la transparence troublée seulement par quelques effluves de mazout irisé.
Le bateau s’élança sans attendre à vitesse réduite d’abord pendant une centaine de mètres nécessaire pour quitter le port.
La brise du large cingla les visages muets des trois occupants à l’arrière de la navette. Rien n’aura pu les faire dévier de leurs réflexions internes. Les envies de passer le temps pour partager des impressions communes étaient courtcircuitées par le bruit assourdissant du moteur.
La ville s’éloignait de plus en plus vite et ne fut bientôt qu’un vague souvenir dont seul quelques clochers rappelaient l’existence.
Ce n’était pas la saison touristique et cela se ressentait. La température était pourtant, déjà lourde, heureusement rafraîchie par les embruns qui parvenaient sur ces visages vides d’expression. On osait, alors, fendre la rade sans trop de crainte d’entrer en collision avec un yacht en mal de reconnaissance des lieux. L’ambiance, il fallait la chercher manifestement ailleurs.
Les plages étaient résolument désertes. Les criques défilèrent l’une après l’autre sans beaucoup de variétés.
L’île, elle-même, disparu bientôt du champ de vision.
Le ressac, dû à la vitesse, secouait méchamment les barques de pèche croisées au passage. Personne n’en avait cure. Ni les secoueurs, ni les secoués. Chacun sa barque et ses préoccupations.
Les vedettes rapides se croisaient en ajoutant un peu d'excitation supplémentaire.
L’une d’entre elle aurait pu les intéresser plus qu’il n’y paraissait. Sans le savoir, une autre navette qui allait dans le sens opposé avait à son bord un seul passager, un homme jeune, comme un autre apparemment et qui pourtant cachait un passé récent très peu commun.
Un touriste roumain d’origine, jeune, était à son bord, plein aux as et cela le pilote qui était devant lui l’ignorait et n’aurait jamais voulu le savoir. Gregory, pour lui donner son nom, avait également le regard ailleurs et n’aurait pu imaginer que son destin se croisait, allait bientôt se jouer et être déterminé par les deux hommes de l’autre esquif. Pour le moment, c’était seulement chacun sa route, chacun son destin voulu par le hasard.
Il était reparti à La Valette pour faire ses emplettes et rien n’aurait pu le retenir. Ses pensées et ses rêves en dépendaient depuis trop longtemps. Rien n’aurait pu gâcher une journée aussi belle. Le temps pressait même. Il avait droit à sa récompense en consommateur de produits de luxe. La précarité qui avait accompagné sa jeunesse, il voulait l’effacer à jamais. L’avenir, il le voulait tout autre à l’instar de cette nature construite d’illusions.
Il allait pouvoir vivre de ses rentes, faire ce qui lui plaisait sans devoir en référer à quiconque. Faire et défaire au gré de ses fantasmes. Cela avait l’heur de le détendre et de lui procurer une humeur à faire pâlir d’envie Crésus, lui-même.
Souvenir de ce hasard en rapproché quelques lames de fond et un remous qui sortirent de leurs préoccupations, en même temps et par effet retard, les occupants des deux embarcations. Pas de mouvement de tête pourtant de part et d’autre dans la direction de l’autre fauteur de troubles. Imperturbables.
Les policiers continuaient à regarder devant eux les cheveux tirés vers l’arrière dans un vent qui n’avait aucune peine à marquer sa présence. Surtout éviter les conversations en égosillant la voix en pure perte dans le ronflement du moteur.
Bien vite, Gozo apparut. L’eau, réellement turquoise, remplaça le bleu azur profond. Pas bien loin, un dauphin décida de donner un pas de conduite en espérant par ses bonds attirer l’attention sur lui. Les humains étaient malheureusement trop peu soucieux de la beauté du paysage pour y prêter attention.
Contourner l’île par le nord ne prit pas beaucoup de temps. La baie de Marsalforn se pointa sans donner son nom. Pointer du doigt par l’inspecteur maltais sans un mot suffisait pour se faire comprendre.
Le moteur hoqueta et un premier soubresaut suite à la réduction de la vitesse fit comprendre que la mini croisière touchait à sa fin.
La plage était presque vide. En autre temps, le slalom aurait été la base de tout déplacement dans l’eau et sur le sable.
Ce fut le moment choisit par le portable de l’inspecteur français de lancer sa musique électronique. Le bruit s'adoucit.
- Allô, ici, l’inspecteur Derville de la police division "informatique". Au sujet de l’affaire Vanderbist, nous avons analysé et décrypté les données de l’ordinateur de votre suspect que vous nous avez ramené du fameux appartement.
- Et, quels sont les résultats de votre enquête informatique ? » fit le policier de manière plus forte qu’à son habitude encore brouillé par le bruit du moteur.
- Pour tout vous dire, nous avons été très surpris et émerveillé à la fois. Il s’agissait d’un beau poisson que vous avez pris. Il était à la tête d’une arnaque à l’échelle mondiale. Une véritable machination dont il détenait les clés et les rênes pour suivre son bon plaisir. A tout moment, il aurait pu contrôler les réseaux informatiques et s’offrir les plus gros gags dans le domaine du piratage. Je peux vous assurer que le monde a risqué gros. Le curseur de la peur n’était pas encore poussé trop haut, heureusement pour nous. Il gardait le pied sur le frein. Vraiment, surprenant. » fit-il encore excité.
- Quels sont les dégâts jusqu’ici pour l’économie ? Car il a tout de même puiser dans la Bourse.
- Pas vraiment l’économie. Quoiqu’il aurait pu. Pas beaucoup de lésés. C’était bien plus fin. Une véritable partie d’échec style Kasparov dans laquelle la reine n’avait pas encore quitté la case de départ. Si je me fais bien comprendre. ». Il parlait avec emphase mais surtout avec une admiration sans borne. « En fait, il a fait fructifié la Bourse et ses actionnaires sans que ceux-ci aient eu le moindre orgueil de responsabilité. Génial. Une fois, le rendement atteint, il s’éclipsait encaissant les gains au passage. Ni vu, ni connu. Il y en a pour des millions. Pour y arriver, il détenait une martingale qui lui permettait de garder un maximum de chance de son côté. Il l'avait même utilisé récemment pour appâter de nouveaux clients. Avant cela, d'autres arnaques, tout aussi fines dans l'arsenal de la piraterie informatique avaient eu leurs heures. Je vous dis, une merveille d’horlogerie mise au service de l’informatique boursière. »
- Je vois. Cela devient clair et troublant à la fois. Je ne pouvais m’imaginer que l’on puisse arriver à ce point. Je vous remercie pour vos informations. N’hésitez pas à me contacter si vous trouver encore autre chose ». Il pressa le bouton "stop" de son portable.
Ils venaient de toucher le sable. Il paraissait très chaud à l’inspecteur français.
Torride, même.
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« Pour tendre des embuscades, il faut d’abord être sûr du terrain et des populations environnantes sous peine de voir le piège se retourner contre soi. », Patrice Fanceschi
Une visite à la maison du port apporta de précieux renseignements sur un étranger qui par deux ou trois fois avait fait appel à eux. La basse saison, encore une fois, par son manque de touristes, précisait les rencontres avec plus d’acuité.
Une description plus ou moins fidèle complétait les traits du portrait robot que l’on avait pu établir grâce à l’aide de la concierge de l’immeuble qu’occupait Vanderbist. Certains se souvenaient, avec enthousiasme, les yeux exorbités, l’avoir rencontré. De Greg, personne ne le connaissait. Le nom n’arrangeait rien.
La villa fut même désignée du doigt derrière la colline pour permettre aux enquêteurs de poursuivre le jeu de piste. Pris par le jeu, ils ne ’arrêtèrent même pas pour déjeuner alors que l’heure du repas avait sonné depuis bien longtemps. Les deux policiers étaient, pour des raisons différentes, pressés de conclure.
Une voiturette de la police les mena bien vite, sans hésitation, à l’endroit précisé. A l’écart, loin des chemins touristiques et des yeux indiscrets, la villa était bien située au détour d’un chemin tournant autour de la colline.
La villa était simple mais belle. Toute blanche. Peu de décorations extérieures superfétatoires. Seul, des fleurs aux balcons donnaient par l’avant une couleur de contraste par touches massives. Les fleurs avaient seulement un peu trop séchées et n’avaient pas gardé la couleur de la jeunesse. Volets clos, elle paraissait inhabitée.
Les murs d’entrée cachaient le plus beau. En les contournant, le blanc éclatant de la façade allait trancher et laisser la place à une eau turquoise. Limpide, ridée seulement par un léger mouvement final du ressac à la rencontre du sable. Tout respirait paix et volupté. Si quelqu’un avait été chargé de faire de la pub du paradis, il n’aurait pu choisir meilleur endroit.
Ils sonnèrent à l’entrée. Le silence répondit ensuite à ce tintement perçant.
Pas de réaction. Pas de mouvement. La répétition ne donna pas plus de résultat.
Aucun voisin aux environs pour s’informer des allers et venues dans la maison. Contourner l’immeuble n’apporta pas le retour du propriétaire des lieux. La villa avait été occupée récemment. C’était sûr. Des traces récentes de pneu et de pas le confirmaient. La sécheresse de l’endroit n’aurait pu les effacer. Même si la saison était la plus pluvieuse, comme partout, le réchauffement de la planète avait dû contrecarrer les plans du “grand régulateur céleste”.
Que restait-il à faire sinon se mettre en embuscade sous l’ombre d’un arbre et attendre.
Combien de temps? Ils n’auraient pu le prédire. En espérant qu’il ne faudrait pas y passer la nuit. Le gibier devait tôt ou tard se représenter. L’affût commença dans la petite voiture trop étroite pour trois personnes et surtout sans conditionnement d’air. Le jour était loin d’avoir fini sa course. Le soleil dardait encore ses rayons avec force en cette belle après-midi. Une planque sous de rares arbres bien maigres s’imposait. Au départ, la protection fut assurée. Mais les heures passaient et le soleil tournait, dégageant progressivement le capot de la voiture. La chaleur faisait suffoquer les occupants.
La faim accentua leur énervement. Inquiets de peur de rater leur proie, ils n’avaient pas pris le temps de chercher ce qu’il fallait pour passer le temps plus agréablement. D’abord la soif, puis la faim les tenaient mais aucun d’eux n’aurait accepté de chercher à réparer cette omission et leur faire perdre une chance de cueillir leur proie au bercail.
Vers 17:30, un taxi arriva. En descendit un grand jeune homme. L’inspecteur français aurait aimer comparer ses traits avec un portrait robot. Il n’en avait pas. Pas de doute, pourtant.
Cela devait être lui, pas d’autres habitants à la ronde.
Un taximan descendit du taxi, le contourna et ouvrit le coffre. Aider au maximum le client quand les touristes n’étaient pas courants, pouvait donnait l’espoir d’un pourboire plus substantiel. A l’intérieur, il y avait toujours une personne qu’il était encore impossible de définir les traits.
Une multitude de paquets apparurent devant les yeux des policiers. Il était presque surprenant que temps de choses puissent avoir occupé un coffre d’une petite voiture. En souriant, le policier française se rappelait une pub qui avait marqué son esprit, récemment à la télé française pour vanter sa contenance. L’impossible n’existait manifestement pas dans le domaine de la charge d’un coffre. La seule différence avec la pub, pas de belle-mère installée à l’intérieur du coffre.
La Valette avait eu manifestement un très bon client. Un consommateur de haut vol. Celui-ci apparut enfin. Leur assassin était là. Jeune, grand, plein d’allants. Il rétribua le chauffeur qui fit des mouvements de tête de remerciement avant de reprendre le volant et de s’éloigner.
Tout doucement, les policiers se glissèrent au dehors de leur véhicule en miniature sans claquer les portières. La proie, toujours insensible aux bruissements du vent et aux bruits légers, ne se méfait pas. Il commença à se charger les épaules en bandoulière pour finir par les bras et les mains. Il devait probablement regretter de ne pas s’appeler Shiva avec les bras multiples prêts à tout. Les policiers grimpèrent sur le chemin et emboîtèrent les pas de ce grand gars chargé, surchargé de paquets de toutes dimensions.
Gregory n’eut pas la chance d’atteindre le seuil de la villa et aboutir sous la protection des murs de la villa, fondement de ses rêves et de sa protection.
Une voix sèche et en français résonna derrière lui comme le glas en lui glaçant le dos.
- Monsieur Grégory Dorsinitch. Pourrions-nous vous parler ?
Son nom prononcé ainsi, dans une langue bien connue, le paralysa plus que l’épaisseur des paquets qu’il tenait dans les bras. La face vers la façade, la surprise n’aurait pu se lire sur ses traits, mais elle était bien présente.
Une chape de plomb envahit tout son être. Le courage lui manquait pour détaller à toutes jambes. Laisser échapper les paquets sur le sol et courir. Il y pensa l’espace d’une seconde.
Mais pour aller où? Et comment?
Intelligent, il arrêta cet élan réactif. Il savait que s’échapper d’une île était impossible. La transpiration lui suinta au front et n’avait aucune relation avec la chaleur extérieure.
Il se retourna et avec le visage le plus naturel du monde, répondit en gentleman bienveillant.
- Oui, Messieurs, c’est moi. Veuillez prendre la peine de me suivre. » répondit-il avec une voix bredouillante.
Qu’aurait-il pu dire de plus dans ce moment solennel? La partie d’échec se terminait par un mat, seulement un peu vite à son avis.
La coup fatal viendrait-il plus tard? Il le redoutait mais il s’en doutait.
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« Ne méprise jamais la dignité en faveur du panache. » Anita Nair
Plus les instants passaient, plus Greg savait que le destin avait changé sa voie. Les choses étaient claires, il savait que le bout de chemin était à portée de vue. Un long tunnel obscur, à l’abri de la lumière, se présentait devant lui. Les différents paquets qui gisaient ostensiblement dans le salon n’auront manifestement aucune chance de prendre le large et satisfaire leur acheteur.
Coincé, il se sentait avoir des boulets énormes au pied. La cage, il sentait qu’elle n’allait plus rester longtemps entrouverte. Les policiers s’étaient présentés à lui. D’une voix mal ajustée à la circonstance, Greg eut encore le courage de demander si les policiers voulaient quelques choses à boire.
Comment limiter sa responsabilité qu’il savait entière? Jusqu’à quel point de l’enquête, étaient arrivés les inspecteurs qu’il avait devant lui?
Les neurones de Greg brûlaient une énergie folle en réflexions dans toutes les directions.
Laisser parler et voir venir. Voilà, la décision finale. Le jeu de la cigale avait du plomb dans l’aile.
Avec les verres en main, il s’assit en face de ses visiteurs du soir. Donnant l’impression d’un maximum d’innocence, il lança le dialogue.
- Alors, Messieurs, que me vaut l’honneur de votre visite dans ce coin perdu ?
- Je crois que vous vous en doutez. Je n’irai donc pas par quatre chemins. Nous sommes ici pour vous arrêter.
Cela ne commençait pas trop bien mais correspondait aux perspectives sans surprises.
- Qu’avez-vous à me reprocher ?», relança-t-il avec l’accent de l’innocence.
- Pas mal de griefs. Je suis bien obligé de vous le dire. » répondit l’inspecteur avec un sourire en coin.
Il se prit au jeu en chat qui explique à la souris le pourquoi de sa petitesse devant le rouleau compresseur de la justice.
Tout fut raconté d’une traite en bouchant toutes les pièces du puzzle dans un ordre qui ne correspondait pas nécessairement à la chronologie réelle. Qu’est-ce que cela changerait d’ailleurs? Peu importait d’ailleurs à condition qu’en fin de partie, le puzzle n’ait plus de trou à combler.
Greg semblait toute ouïe comme s’il allait apprendre quelque chose sur sa vie récente. Il n’en laissait rien paraître mais subissait le pire des supplices. Il aurait donné la fortune qu’il avait garée en banque sans la moindre hésitation, pourvu que cela finisse au plus vite.
Au bout d’une demi heure, le monologue arriva à sa fin, Greg se sentait près de l’effondrement. Toute sa superbe avait fondu. Il n’avait jamais eu à subir un tel déshonneur sans pouvoir se défendre.
Bredouillant, la transpiration au front, il se rappelait, tout à coup, de Vic qui avait applaudit quand lui-même l’avait projeté dans les cordes. Les « Bastos, c’est toujours plus facile à donner qu’à recevoir » aurait dit Michel Audiard, dans la voix de Gabin pour cadrer avec la situation.
- Messieurs, à part le timing, je suis obligé de l’avouer, vous avez énuméré les points principaux qui ont hantés les jours du mois qui vient de s’achever. Je suis votre homme, bien malgré moi”.
Ce fut ses derniers mots avant de se voir accroché des bracelets dont il n’avait vu l’existence que dans les films de son enfance. Encadré de ses nouveaux gardes du corps, Greg quitta cette maison qu’il avait rêvé depuis très longtemps. Il n’avait pas encore le temps d’en faire les contours. Le désespoir se lisait sur ses traits en entrant dans la voiturette qui les ramènerait vers le point de départ. Le temps avait passé trop vite.
A la tête de cette fortune, vite faite, Vic aurait choisi la douceur. La question, style, « Comment dépenser, au mieux, l’argent? » aurait pris une échelle de temps élargie. Mais Vic, c’était de l’histoire ancienne.
Les neurones de Greg, eux, auront simplement été mis entre parenthèses dans ce sport de l’extrême. Une construction d’un château en Espagne avec en fin de parcours un château de cartes.
Un scénario complet ne réussit que dans la préparation minutieuse de toutes les étapes de la mise en scène avec la sortie du spectateur et des risques cachés des commentaires.
Vic avait eu deux entreprises. Une de jour et une de nuit.
Celle de jour, lui avait permis d’assurer, de rassurer avec un bonheur calculé, mitigé dans des contraintes précises.
Celle de nuit, apportait des rêves et des ambitions en équilibre sans couverture morale mais avec un passe-temps en remue neurones. Donner une correction à celui qui n’avait pas compris quelques règles de base de la vie, il avait aimé. L’argent était le nerf de la guerre, sans plus. Outil de pouvoir de décision, obtenu par les vices des autres mais sans contrainte pour lui. Percer les failles du système mais en connaissant toutes les cartes et embrayer à la vitesse supérieure au bon moment sans casser la boîte de Pandore. Une devise aurait pu être « Think and do it, if ».
Greg, nouvel Icare, avait pris un autre envol, trop haut pour lui. Vic, son maître, son mentor, était resté à l’étage, du dessous. Étage de l’efficacité protégée par des gardes fous qu’il voulait garder toujours près à rétracter.
Le crime parfait restait à inventer. Le Grand Maître virtuel n’avait pas compté sur ce grain de sable du temps, cette couverture qui se rétrécit toujours quand on la divise.
Greg aurait eu encore plus à souffrir s’il avait compris le but final de l’action de Vic. Le jeu de « gagne petit » de Vic n’était qu’illusion. Son ambition était bien plus énorme qu’il n’y paraissait. De « Grand Maître virtuel », il serait monter au grade de « Grand Maître du Monde » sans ce coup du sort. « Vic », n’était-ce pas un diminutif de « Victoire »?
Jeu à qui perd, gagne?
Du côté positif, Vic avait aussi changé grâce à Greg. Plus humain, l’idée de partage de la solidarité sur un chemin parallèle. Il avait été guéri de son côté psychopathe pendant l’espace de quelques mois. Il avait même commencé à imaginer fonder une famille. Une femme? Pourquoi pas? Il fallait qu’il en sache un peu plus de cette moitié de population.
D’autres lois à digérer. Le sort ne lui en avaient pas laissé le temps.
Les victimes dans ce monde de la finance abrutie avaient fait coup double. Se débarrasser d’un crime financier et d’un crime de sang.
L’aventure en tandem de Vic avec son coéquipier, Greg, avait échoué à cause d’une « monogame » finale sans pédale douce.
Vic avait aimé le pouvoir dans son absolu, c’était sa force et sa faiblesse de n’avoir pas reconnu d’autre alternative. L’argent, il s’en foutait.
Grégory, lui, aimait l’argent pour l’argent et, en nouveau consommateur, ne comptait plus qu’à s’en servir comme d’une servitude.
Histoire très controversée par des sentiments multiples que celle de cet Icare d’aujourd’hui.
Entrer dans la grande histoire nécessitait un charisme et du doigté à toute épreuve. Greg n’en avait connu que la technicité. La fibre spéciale du génie du Grand Maître du virtuel ne l’avait rattrapé. L’élève n’avait pas pris le temps d’arriver au stade de son maître. Il venait de s’en apercevoir à ses dépends.
Le temps aura eu seulement le dernier mot. Il n’aime pas ni les mensonge, ni les erreur. Il explique tout à l’homme qui sait l’écouter.
Dans la voiture et la vedette qui les ramenèrent à la Valette, la vie de Greg lui revint en mémoire accélérée.
La Roumanie, tout d’abord, qu’il avait quitté, il y a bien longtemps.
Époque autoritaire sous la joute du pouvoir de Ceaucescu. Période pendant laquelle, seulement, les privilégiés gravissaient les échelons du pouvoir et parvenaient à vivre dans une opulence insolente.
Famille de paysans, ses parents n’en avaient jamais mené large. Aîné de quatre enfants, chargé de ses frères et sœurs, Greg avait été élevé à la dure. L’intelligence et une mémoire phénoménale avaient permis de sortir d’un futur tout tracé de paysan. La peur du lendemain et de ne pas avoir vécu comme dans ses rêves. Imperméable à son entourage.
L’informatique, dans son bocal fermé, semblait avoir été inventé pour lui. Très jeune, il s’y adonna dans ses seuls moments de délassement.
La fuite à Paris à l’âge de vingt ans, comme une impulsion qui provoque la fin des tourments.
La rencontre avec Vic qui s’enchaîna dans un accord parfait. Un Grand Maître du virtuel qui connaissait tant de filières. Une force tranquille qu’il avait voulu dépasser par méconnaissance des règles et des détails de la construction. Trop d’obligations qu’il ne pouvait assumer, trop pris par son ascension propre qui ne se partage pas. Des risques mal calculés. La chute brutale pris dans les filets de la police. L’intelligence n’y était pour rien.
Un nouveau départ se présentait désormais. Il l’imaginait déjà sans la solitude cette fois.
Peut-être dans une autre vie, bien plus tard, Greg aura-t-il l’occasion de se donner une autre chance. Le vol d’Icare se termine parfois par une renaissance et des rééditions.
La vie n’était décidément pas une partie d’échec comme les autres.
Pour les autres humains, les navigateurs du virtuel, le côté positif, c’est que leur monde avait à se féliciter, une fois de plus, d’un répit.
Jusqu’à quand? Question sans réponse mais pleine de surprises.
« Les mensonges n’ont d’importance que si l’on se fait prendre. », Christine Ockrent
Fin
15:24 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
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